
JEAN-SIMON GAGNÉ
jsgagne@lesoleil.com
Voici le guide de voyage qui permet d’explorer la ville de Québec durant l’été 1925. Comme si vous y étiez. Des dizaines de conseils, de trucs et de bonnes adresses pour un séjour mémorable. Le dépaysement est garanti, même si vous aurez par moments une impression de déjà-vu. En 1925, on parle beaucoup des tarifs douaniers américains. Et de l’annexion du Canada par les États-Unis! Prêts pour le départ? Les années folles vous attendent! Il ne reste plus qu’à vous souhaiter un bon voyage.
Présentation: la vie s’accélère
1) Le feu de circulation, c’est pour quand?
À Québec, la plupart des rues sont encore faites de terre battue. Dans la Haute-Ville, on commence à asphalter le boulevard Saint-Cyrille (aujourd’hui René-Lévesque). S’il reste de l’argent, on promet de faire un bout de la 3e Avenue, dans Limoilou…
La cohabitation entre les tramways, les automobiles et les attelages de chevaux devient parfois chaotique. Patience. Il n’y aura pas de feu de circulation avant 1936! Mais ne vous affolez pas. La Ville annonce une petite révolution pour juillet. Elle va instaurer les premières rues à sens unique! (2)
L’asphaltage d’une rue de Québec, en 1925. (Archives Ville de Québec N000374). Attelages de voitures à incendie. (Archives Ville de Québec N016293)
L’asphaltage d’une rue de Québec, en 1925. (Archives Ville de Québec N000374). Attelages de voitures à incendie. (Archives Ville de Québec N016293)

2) La ville est-elle sécuritaire?
À Québec, 158 voitures sont volées durant le mois de juin! (3) Le 20 juillet, un livreur de pain est sauvagement attaqué sur la rue Richardson [aujourd’hui de La Salle]. (6) En plein jour! Vous vous rendez compte?
La semaine suivante, à la stupeur générale, le cadavre démembré d’une femme est retrouvé dans le fleuve à Deschaillons. Sûr qu’il s’agit d’un meurtre!
Ça ne peut plus durer! À l’hôtel de ville, des conseillers réclament plus de policiers. Le service en compte 128. Il en faudrait 150, disent les mécontents. (4)
Pour l’instant, personne ne songe à imiter la ville de Cap-de-la-Madeleine, qui vient d’adopter une mesure radicale. Un couvre-feu pour les enfants et les adolescents!
Chaque soir, un peu avant 21h, une sonnerie retentit à Cap-de-la-Madeleine. Les moins de 16 ans doivent avoir quitté les rues dans les minutes suivantes...

3) Non à l’annexion du Canada par les États-Unis!
Tout l’été, les rumeurs d’élections se multiplient du côté d’Ottawa. Le premier ministre libéral Mackenzie King présente tous les symptômes d’une importante fièvre électorale. Il se présente comme une sorte de Capitaine Canada. Un rempart contre l’annexion possible du Canada par les États-Unis!
Des milliers de Canadiens partent chaque année aux États-Unis pour se trouver du travail. Tous les Québécois ont désormais un oncle, un frère, une sœur de l’autre côté de la frontière. Le Soleil donne même des nouvelles des paroisses «canadiennes-françaises» situées dans le New Hampshire ou le Massachusetts! Mariages. Naissances. Funérailles. Potins. (5)
Le premier ministre King ne croit pas que l’existence du Canada est menacée. «Les Canadiens ne pensent pas plus à l’annexion aux États-Unis que les [Américains] ne pensent à se joindre à l’Empire britannique.» (6)

4) Incompétents, oui! Voleurs, non!
Scandale à l’hôtel de ville de Québec! L’administration du maire Joseph-Octave Samson se retrouve dans l’eau bouillante. Il est question de pots-de-vin. On parle même de bulletins de vote dérobés lors d’un référendum sur un emprunt de 500 000$, en décembre 1924.
Au début de l’été, une commission d’enquête se penche sur la gestion par la Ville d’un chantier de logements subventionnés. Selon les experts, il aurait fallu 50 inspecteurs pour superviser les travaux. Il n’y en avait pas un seul! En plus, un conseiller municipal était actionnaire de la compagnie qui fournissait du bois au constructeur!
À la fin, le maire Samson s’en tire sans trop d’égratignures. Les avocats de son administration reconnaissent qu’il y a eu de «l’incompétence». Par contre, ils refusent d’admettre toute forme de «malversation». (7)
Incompétents? Peut-être. Voleurs? Jamais au grand jamais!

5) Il faut qu’on parle des États-Unis...
Les États-Unis traversent une période de grande turbulence. Ils s’isolent du reste du monde. Depuis 1922, ils imposent des tarifs douaniers très élevés aux marchandises venues de l’étranger. Les produits agricoles canadiens sont durement affectés.
En guise de réponse, le Québec lance plusieurs campagnes encourageant «l’achat chez nous».
Les États-Unis apparaissent plus désunis que jamais. Séparé en deux camps irréconciliables. Est-ce le prélude à une guerre civile? Le 8 août, une manifestation rassemble 30 000 adhérents du Ku Klux Klan devant la Maison-Blanche! (8)
Plusieurs États du sud interdisent l’enseignement de la théorie de l’évolution dans les écoles. En juillet, un enseignant du Tennessee est condamné à 100$ d’amende pour avoir refusé d’enseigner que le monde a commencé avec Adam et Ève. (9)
Le juge ignore les arguments des scientifiques. Il refuse de répondre à la question qui tue. «Si Adam et Ève étaient seuls au monde, comment leur fils Caïn a-t-il pu trouver une femme?
Publicité «L’achat chez nous constitue la clé de voûte de notre édifice économique», dans Le Soleil du 18 juillet 1925. (BANQ)
Publicité «L’achat chez nous constitue la clé de voûte de notre édifice économique», dans Le Soleil du 18 juillet 1925. (BANQ)

6) C’est la faute des femmes!
Les mœurs changent. La place des femmes aussi. Les journaux racontent les exploits de plusieurs pionnières. En août, la nageuse américaine Gertrude Ederle tente la traversée la Manche. La pilote allemande Clärenore Stinnes va bientôt faire 47 000 kilomètres derrière le volant de sa voiture, baptisée «The little one». (10)
Plus que tout, la mode féminine crée le scandale. Les corsets et les lourds jupons disparaissent. Entre 1913 et 1928, la quantité de tissus que porte une femme occidentale passe de 17,6 m à 6,6. Une réduction de 60%!
Ce n’est qu’un début. À Paris, la chanteuse Josephine Baker provoque l’hystérie en dansant avec les seins nus!
À la fin juillet, le cardinal Francis Gasquet, le bibliothécaire du Vatican, n’en peut plus. «Je ne puis m’expliquer la décadence universelle de l’Europe depuis la guerre, déclare-t-il. La veille, Monseigneur a vu le dos d’une dame, à cause d’une robe échancrée! Une vision «d’horreur» dont le pauvre n’arrive pas à se remettre!
La nageuse Gertrude Ederle et la pilote allemande Clärenore Stinnes. (Wikimedia Commons)
La nageuse Gertrude Ederle et la pilote allemande Clärenore Stinnes. (Wikimedia Commons)

La citation de l’année
«La situation est moins grave qu’on le dit, mais plus grave qu’on le pense.»
— Joseph Caillaux, le ministre français des Finances, à propos de la situation budgétaire de la France.
Planifier le voyage
1) Conseils en vrac
› LES ROUTES EN 1925
Si vous prenez le volant, attendez-vous à des surprises. Le premier code de la route a été publié l’année précédente, en 1924. Il tient sur une page! La signalisation routière en est à ses premiers balbutiements. Par exemple, la ligne blanche qui sépare les voies n’existe pas encore. Elle ne fera son apparition qu’en 1932! (11)
Durant tout l’été 1925, les employés du ministère de la Voirie s’emploient à effacer les publicités que des commerces peignent sur les ponts, les gardes-fous et les poteaux. Il paraît que cela provoque trop des distractions chez les conducteurs!
› LE PREMIER TRAJET ENTRE LA TUQUE ET QUÉBEC!
Le 12 septembre, un groupe de voitures inaugurent la route entre La Tuque et Québec, via Saint-Tite. Partis de La Tuque à 6 heures du matin, les «excursionnistes» arrivent à Québec en fin d’après-midi. Un voyage d’environ 10 heures qui ne diminue pas leur enthousiasme. «Ce sera le paradis du tourisme!» prédisent-ils. (12)
› UN CATALOGUE À DÉCOUVRIR
Il faut feuilleter le catalogue en couleurs de la compagnie P. T. Légaré, dont le siège social est situé au 273, rue Saint-Paul. On y trouve de tout. Des meubles, des jouets, des radios et même de la machinerie agricole. Le journal torontois Financial Post parle du catalogue comme de la «bible» du Canada français. L’empire Légaré se trouve alors à son apogée. (13) Mais plus pour longtemps. Son célèbre catalogue sera bientôt éclipsé par ceux de géants comme Eaton et Sears.
› UN PONT À ÉVITER
Le 10 juillet, la ville inaugure en grande pompe le pont Marie de l’Incarnation, qui enjambe la rivière Saint-Charles. Mais l’assistance est incommodée par l’odeur pestilentielle qui se dégage des environs. Normal. On s’est servi de déchets pour le remblayage des abords du pont! Il y a aussi un égout qui se déverse juste à côté. Un invité raconte qu’il a cru apercevoir un carré de gazon. Intrigué, il s’est approché. Pour se rendre compte qu’il s’agissait d’un gros essaim de mouches qui luisaient au soleil! (14)

Combien ça coûte en 1925?
2) Quatre dates à inscrire sur votre calendrier
› Le 7 juillet, sur le terrain du parc de l’Exposition, ne manquez pas les frères Mann, des trapézistes de haute voltige. Au même endroit, durant la semaine du 27 juillet, on présente des ours dansants de la Sibérie. Un spectacle cruel, mais qui était très répandu en Europe de l’Est. Pour apprendre à danser aux ours, on chauffait le plancher, jusqu’à ce qu’il lève une patte après l’autre! (15) Évitez d’y emmener les enfants…
› Le 11 juillet, le cinéma Victoria (27, côte du Palais) présente Any Woman, un classique du cinéma muet. Une occasion unique de voir le film puisque toutes les copies ont été perdues. Il n’en subsiste qu’une poignée de photographies.
› Le 17 août, ne manquez pas le grand gala de boxe au cinéma Imperial, rue Saint-Joseph. La boxe constitue le sport emblématique des années 1920. Dans la catégorie des poids-coq, le petit gars de Québec, Ralph McNaughton, affronte le champion des Maritimes. Irish Jimmey Galvin, de Halifax.
› Le 23 septembre, la campagne électorale fédérale démarre pour de vrai à Québec. Le premier ministre libéral Mackenzie King prononce un discours fleuve au Marché Saint-Pierre, dans le quartier Saint-Sauveur. Une foule énorme vient l’acclamer. 15 000 personnes selon Le Soleil, un journal libéral. 10 000 selon L’Action Catholique, qui penche nettement pour les conservateurs. Amenez un parapluie, puisque l’événement commence à 20 heures sous une pluie glaciale… (16)
Any Woman (Wikimedia Commons). Carte postale de l’archevêché de Québec. (Archives Ville de Québec, Collection André Escojido N031627)
Any Woman (Wikimedia Commons). Carte postale de l’archevêché de Québec. (Archives Ville de Québec, Collection André Escojido N031627)

Infos pratiques
Le Québec de 1925 en chiffres
Le Québec de 1925 en chiffres
1) Où se loger?
L’Hôtel Montcalm, situé sur le carré Saint-Jean (la future place D’Youville), n’a pas très bonne réputation. L’endroit organise des soirées où l’on peut danser sur les airs de Charleston, le rythme emblématique des années 20...

2) Où manger?
Le français Joseph Kerhulu vient d’ouvrir sa pâtisserie-restaurant au 22, côte de la Fabrique. L’endroit devient vite le lieu de rendez-vous des intellos et des amoureux de gastronomie française. Pour le voyageur du temps, le taux de change se révèle très avantageux. Sur le menu, le homard thermidor est indiqué à 0,90$ [16,16$ en argent de 2025]. La bouteille de bourgogne Nuits-Saint-Georges 1915 est à 2,50$… [44,89$ en argent de 2025].
Petite Pub de Kerhulu en bas de la page dans Le Soleil du 7 juillet 1925. (BANQ)
Petite Pub de Kerhulu en bas de la page dans Le Soleil du 7 juillet 1925. (BANQ)

3) Où prendre un verre?
L’auberge Neptune, un établissement légendaire situé au 117, la côte de la Montagne. Sa façade fait partie des curiosités de la ville. On y aperçoit une grande statue du dieu Neptune, qui aurait été récupérée sur un navire ayant fait naufrage en 1817 sur les côtes de l’île d’Anticosti. Idéal pour entendre les marins et les vieux loups de mer raconter leurs exploits. Éviter l’endroit le 13 juillet. Durant la nuit, un incendie terrible y fait deux morts. (17)

4) Envie d’un look très 1925?
Pour madame, le style «garçonne» apparaît de rigueur. Les robes sont courtes et droites. Ornées de perles ou de paillettes, si possible. Pour Monsieur, on parle d’un style «décontractée». Veston ample. Pantalon large. Le chapeau de paille de style «canotier» est en vente partout. (18)

6) Quelques chansons à écouter avant de partir
— La chanson Charleston a d’abord été conçue pour une comédie musicale de Broadway. Paul Whiteman obtient un succès énorme en la «commercialisant» en 1925. Elle devient un symbole de la musique des années folles.

La prohibition
aux États-Unis
Aux États-Unis, la vente d’alcool est interdite depuis 1920. Dès le début, la prohibition se révèle un échec retentissant. On estime qu’elle coûte un milliard $ par année à l’économie du pays. [18,6 milliards $ en argent de 2025]
Dans les grandes villes, les bars clandestins, surnommés des «Blind Pigs», poussent comme des champignons. (19) Est-ce un hasard? Les Américains s’imposent comme les plus grands fumeurs du monde. Un adulte y fume 650 cigarettes en moyenne, durant une année.
(Wikimedia Commons)
(Wikimedia Commons)
Au Canada, un imposant réseau de contrebande s’est mis en place pour fournir de l’alcool au sud de la frontière. La ville de Québec n’y échappe pas. Toutes les semaines ou presque, les policiers saisissent un alambic, quelque part dans la région.
L’humour
de 1925
L’humour ne vieillit pas toujours très bien, mais nous prenons le risque de vous transmettre cet échantillon...
NOTE
(1) Le Soleil, 9 juillet 1925, p. 1.
(2) Le Soleil, 2 juillet 1925, p. 3.
(3) Le Soleil, 12 septembre 1925, p. 5.
(4) Le Soleil, 30 juin 1925, p. 3.
(5) L’Action Catholique, 23 septembre 1925, p. 1.
(6) Le Soleil, 9 septembre 1925, p. 18.
(7) Le Soleil, 26 juin 1925, p. 15.
(8) The Day 30,000 White Supremacists in KKK Robes Marched in the Nation’s Capital, The Washington Post, 11 août 2018.
(9) 1925: Scopes Monkey Trial Begins, History.com, 24 novembre 2009.
(10) Harald Jähner, Vertigo: the Rise ans Fall of Weimar Germany, Basic Book, 2024.
(11) Yves Laberge, Une Question de sécurité routière: les débuts de la signalisation routière au Québec, Cap-aux-Diamants, No 111, automne 2012.
(12) Le Soleil, 12 septembre 1925, p. 5.
(13) Michel Lessard, L’empire P.T. Légaré Limitée, Cap-aux-Diamants, No 40, Hiver 1995.
(14) Le Soleil, 11 juillet,1925, p. 12.
(15) La danse de l’ours, jeanprovencher.com, 21 janvier 2014.
(16) L’Action Catholique, 24 septembre 1925, p. 1.
(17) Le Soleil, 13 juillet 1925, p. 3.
(18) La mode des années 20: la garçonne, la coupe au carré et les autres tendances qui ont défini les Années folles, Vogue, 6 juin 2024.
(19) Daniel Okrent, Last Call: The Rise and Fall of Prohibition, Scribner, 2011.
DESIGNER GRAPHIQUE
Nathalie Fortier, Le Soleil
DESIGNER GRAPHIQUE
Nathalie Fortier, Le Soleil