«C'EST TOUJOURS SUR LA TÊTE DU PLANTEUR QUE TOUT LE MONDE MARCHE»
Au sud de la Côte d'Ivoire, c’est jour de cabossage. En groupe, les habitants du petit village vont fendre les fruits récoltés pour recueillir les fèves de cacao. Celles-ci seront mises à sécher au soleil, sur des toiles au sol, avant de prendre le chemin de l’exportation.
Salif nous attend, se raconte.
L’Ivoirien à la carrure athlétique a pris le relais de son père âgé et malade. Il fait partie des quelque 800 000 planteurs que compte le pays. En trois coups de machette express, il nous montre comment ouvrir la cabosse sans se blesser. Des années d’expérience se sentent dans son geste sûr.
«Il faut trouver le courage d’aller au champ. Je suis obligé. Même si ce n’est pas rentable, c’est ma seule option. Je suis allé à l’école, pourtant, mais je n’ai pas eu le choix de revenir. Il n’y avait rien d’autre pour moi.»
Dans la forêt adjacente à sa maison de terre, on avance longtemps sur le sentier tapé par les allers-retours quotidiens. Une araignée m’effraie, notre guide rigole, me pointe là du moringa, là un cacaoyer de plus de 100 ans, là, encore, des cabosses mauves, vertes, striées. L’amour de la nature se sent dans chaque parole de Salif. Sa désillusion transpire aussi.
«C’est toujours sur la tête du planteur que tout le monde marche», soupire-t-il.
Il ne se voit pas être ailleurs qu’ici, pourtant. Au cœur de la brousse qui l’a vu grandir.
«Mon père n’y arriverait plus, ma place est près de lui, dans la plantation qu’il a cultivé toute sa vie. À ses côtés, j’ai appris que la terre finit toujours par produire. Elle ne rapporte pas assez, mais elle ne trahit pas.»
Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.
Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne