CHANTER LA VILLE AVEC THE SHERBROOKE SONG

Pouvez-vous me parler de l'origine de la création de la chanson The Sherbrooke Song et des référents qu'elle contient sur l'époque?
Nadia
Belle trouvaille que vous avez faite là et surtout, c’est d’actualité! Regardons-y de plus près, et comme dirait l’autre, en avant la musique!
J’ai cherché ce texte et cette partition… Et les ai retrouvés! Il se trouve que nous en avons une copie dans les archives du Musée d’histoire. Elle est écrite et composée par A. E. J. McCreary, qui ne signera pas ici sa dernière pièce à la gloire d’une ville: on lui devra également «Montréal! I’m coming home!» (1918). Sherbrooke est surnommée «The Killarney of Canada», d’après le nom d’une ville d’Irlande. C’est peut-être bien la ville dans son entier que le compositeur décrit comme un «jardin de l’Est».

En examinant le texte lui-même, on y décèle clairement plusieurs références à Sherbrooke. Tenez, par exemple, l’hydroélectricité:
«La force de la puissante Magog / transformant la noirceur de la nuit en de vives lumières.»
«Mighty Magog’s power / turning in to bright lights the darkness of the night».
Ou encore, lorsqu’on mentionne une «foire» (fair) et un «jardin de l’Est» (garden of the East), je pense au terrain de l’exposition agricole dans l’Est et au parc Victoria. Mais si, souvenez-vous, l’Expo agricole; vous vous rappelez certainement notre passionnante chronique sur les concours de génisses proche du Cégep?
Après quelques recherches complémentaires, il apparaît que cette pièce soit composée pour commémorer la venue d’une personnalité de l’aristocratie britannique – prenez votre souffle avant de dire son nom – la marquise Hariot Georgina Hamilton-Temple-Blackwood. Elle était l’épouse de lord Dufferin, gouverneur général du Canada de 1872 à 1878. Il faut savoir que les époux Dufferin consacrent une bonne partie de la décennie à parcourir toutes les provinces canadiennes, en finissant par les Cantons-de-l’Est en août 1878, lors de sa dernière visite officielle. Ils sont hébergés dans la résidence des Brooks, située à l’angle des actuelles rues Prospect et Queen Victoria. Voyez jusqu’où peut nous emmener la mélodie d’une partition!

Les époux Brooks, qui ont accueilli le gouverneur général et son épouse Lady Dufferin dans leur résidence des quartiers nord lors de leur passage à Sherbrooke. (Photo L’Opinion Publique, 28 août 1878, p. 411)
Les époux Brooks, qui ont accueilli le gouverneur général et son épouse Lady Dufferin dans leur résidence des quartiers nord lors de leur passage à Sherbrooke. (Photo L’Opinion Publique, 28 août 1878, p. 411)

(Photo L’Opinion Publique, 28 août 1878, p. 411)
(Photo L’Opinion Publique, 28 août 1878, p. 411)

A-t-on déjà interprété ce morceau, me demanderez-vous? Si vous me le demandiez, je vous répondrais: oui! Ce sympathique hymne à Sherbrooke a été interprété le jeudi 28 mars 1912 dans l’édifice du Monument-National, proche de l’actuelle cathédrale. Ce bâtiment comportait alors notamment une bibliothèque municipale et une salle de spectacle.
L’Orchestre symphonique de Sherbrooke, sous la direction du professeur Sawdon, exécute cette pièce, ainsi que plusieurs autres, devant un parterre d’amateurs de musique qui ne sont pas avares d’applaudissements.
Des années plus tard, on continuera de chanter Sherbrooke. La chanson a été traduite en français par Eugénie-Gabrielle Caron-Shea: «there is music in the air of Sherbrooke's fair» devient alors «Salut Sherbrooke, amour de la jeunesse!» On chantera aussi l’Estrie, notamment grâce aux mots de Maurice O’Bready en 1946, sur une musique de Sylvio Lacharité. Reprenez avec moi: «nous exaltons la coquetterie des vivants et gais cantons de notre chère Esterie…»
Attendez… Ai-je dit «Esterie»? Ce sera pour une prochaine chronique!
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Conception graphique, Cynthia Beaulne