JEAN-SIMON GAGNÉ
jsgagne@lesoleil.com

LES COOPS EN CORÉE DU SUD (1 DE 2)
En l’espace de six mois, la Corée du Sud a réalisé un tour du chapeau politique. Elle a échappé à un coup d’État. Elle a destitué son président. Ah oui, elle a aussi subi les menaces tarifaires d’un certain Donald Trump! Le 3 juin, les électeurs du pays sont appelés aux urnes pour une élection présidentielle qui n’a rien d’ordinaire. À quelques jours du scrutin,
le journaliste Jean-Simon Gagné s’est rendu dans un pays encore traumatisé par les événements des derniers mois. Retour sur les 150 jours qui ont ébranlé la Corée du Sud.

Séoul. 3 décembre 2024. Ce soir-là, Célio Fioretti, le correspondant de Radio France internationale (RFI) en Corée, se trouve au restaurant pour souligner le départ d’un collègue. L’ambiance est décontractée. Personne n’imagine que le sort du pays va bientôt basculer.

Un peu après 22h30, Fioretti reçoit un message étrange sur son téléphone. «Le président Yoon Suk-yeol a déclaré la loi martiale, tard en soirée».

«Le message provenait de l’agence de presse sud-coréenne Yonhap. J’ai d’abord cru à une erreur. La loi martiale? Qu’est-ce que ça veut dire? Une sorte de coup d’État?»
Célio Fioretti, correspondant de Radio France internationale (RFI) en Corée

Très vite, des vidéos se mettent à circuler. On voit le président Yoon faire un discours «à la nation». Les réseaux sociaux s’enflamment. Certains croient apercevoir des tanks sur les grands boulevards. Et des soldats autour de l’Assemblée nationale!

Peu de temps après la déclaration de la loi martiale, les soldats tentent de bloquer l’accès à l’Assemblée nationale de la Corée, au centre de Séoul. Les bousculades sont nombreuses entre les militaires et des citoyens accourus sur les lieux. (Wikimedia Commons)

Peu de temps après la déclaration de la loi martiale, les soldats tentent de bloquer l’accès à l’Assemblée nationale de la Corée, au centre de Séoul. Les bousculades sont nombreuses entre les militaires et des citoyens accourus sur les lieux. (Wikimedia Commons)

On se croirait plongé dans... une télésérie coréenne de science-fiction!

Pour s’assurer un peu de tranquillité au téléphone, Célio Fioretti sort dans la rue. À peine a-t-il franchi le seuil de la porte que trois hélicoptères militaires survolent le quartier à basse altitude! Il ne s’agit pas d’un canular!

Le journaliste saute dans un taxi pour se rendre à l’Assemblée nationale. «Sur place, la confusion règne, explique-t-il. Des soldats débarquent de camions. Des gens tentent de leur bloquer le passage. Ils en viennent aux mains...»

Des députés escaladent la grille d’entrée de l’Assemblée. Ils veulent se rendre à l’intérieur du bâtiment. La loi martiale peut encore être annulée si une majorité de parlementaires s’y opposent! Le temps presse, puisque les soldats sont en train de bloquer tous les accès!

«Tout autour, les policiers ne savent pas trop quoi faire, explique Célio Fioretti. Pour se rendre utiles, certains aident les députés à escalader la grille. Ils veulent éviter qu’ils ne se blessent!

Sans le savoir, ils vont contribuer à faire échouer le coup d’État...

La folle nuit de Séoul commence…

Vers 11h30, environ 300 soldats des forces spéciales se trouvent à l’intérieur de l’Assemblée nationale. Les officiers annoncent «que toutes les activités politiques sont suspendues». Mais par la suite, ils hésitent à suivre les ordres du président qui leur aurait ordonné de «trainer les parlementaires dehors».

Manifestation autour de l’Assemblée nationale de Séoul, le 3 décembre 2024. Durant le mois de décembre 2024, après la tentative de coup d’État, les manifestations vont devenir quotidiennes. (Lee Jin-man/AP)

Manifestation autour de l’Assemblée nationale de Séoul, le 3 décembre 2024. Durant le mois de décembre 2024, après la tentative de coup d’État, les manifestations vont devenir quotidiennes. (Lee Jin-man/AP)

Certains élus font preuve d’un courage inouï. Devant l’Assemblée, des images de la télévision montrent la députée Ahn Gwi-ryeong qui détourne le canon d’une arme pointé sur elle.

«N’avez-vous pas honte?» lance-t-elle au soldat. Ce dernier hésite. Va-t-il ouvrir le feu? Finalement, il s’éloigne en maugréant.

Le «putsch» montre vite des signes d’essoufflement. Pour contrôler la foule, des officiers réclament des pistolets taser. Les commandants refusent. (1) À ceux qui posent trop de questions, on répond qu’il s’agit d’une menace de la Corée du Nord.

Manifestants rassemblés autour de l’Assemblée nationale de Séoul. (Lee Jin-man/AP)

Manifestants rassemblés autour de l’Assemblée nationale de Séoul. (Lee Jin-man/AP)

Certains militaires manquent d’enthousiasme. Ainsi, les soldats chargés de saccager le siège de la Commission électorale prennent un retard considérable. En chemin, ils font une pause pour manger des nouilles ramen! (2)

À une heure du matin, l’Assemblée nationale vote une résolution exigeant le retrait de la loi martiale. Les 190 parlementaires présents (sur 300) se prononcent «pour». «Une unanimité aussi rare qu’un pou sur la tête d’un chauve», dira un chroniqueur.

Après le vote de l’Assemblée, l’ambiance se détend un peu. Les soldats commencent à se retirer. Vers 4h30, le président réapparaît à la télévision. L’air hagard, il annonce que la loi martiale sera retirée. (3)

Des gens participent à une manifestation appelant au renversement du président sud-coréen Yoon Suk-yeol devant l'Assemblée nationale à Séoul. (Philip Fong/AFP)

Des gens participent à une manifestation appelant au renversement du président sud-coréen Yoon Suk-yeol devant l'Assemblée nationale à Séoul. (Philip Fong/AFP)

La démocratie sud-coréenne est sauvée. Pour le moment.

Au plus fort de la crise, il semble que des vétérans de l’armée envoyaient des textos à leur fils soldat. Ils les suppliaient de ne pas faire de mal à leurs compatriotes! Du temps où ils étaient eux-mêmes soldats, dans les années 1970 et 1980, ces pères auraient participé à la répression du mouvement pro-démocratie.

Depuis, les ex-papas soldats se disent rongés par le remords d’avoir brutalisé des civils sans défense! Ils ne veulent pas que leur fils ait à vivre avec ce genre de fardeau! (4)

Personne n’avait vu venir la tentative de coup d’État. Ni en Corée ni ailleurs. Quelques mois plus tôt, l’ancien secrétaire d’État américain, Anthony Blinken, décrivait Séoul comme «un champion de la démocratie dans le monde»!

Reste que la crise ne constitue pas un coup de tonnerre dans un ciel bleu.

Une télévision montre une photo d'archive du président sud-coréen Yoon Suk-yeol depuis les bureaux du KEB Hana Bank à Séoul, Corée du Sud, le 26 décembre 2024. (Ahn Young-joon/Archives AP)

Une télévision montre une photo d'archive du président sud-coréen Yoon Suk-yeol depuis les bureaux du KEB Hana Bank à Séoul, Corée du Sud, le 26 décembre 2024. (Ahn Young-joon/Archives AP)

Un peu partout à travers le monde, la Corée du Sud suscite l’admiration. On s’enthousiasme pour la 13e économie du monde, propulsée par les géants Samsung, SK Group, Kia, Hyundai, LG et la liste pourrait s’allonger...

Et que dire de l’industrie culturelle qui multiplie les succès planétaires, avec des téléséries comme Squid Game, des films comme Parasite ou des groupes de musique K-pop comme BTS, Blackpink ou Twice?

Squid Game (YouTube)

Squid Game (YouTube)

Qu’il s’agisse d’industrie, de technologie, de culture ou même de cuisine, la Corée du Sud est comparée à un boxeur poids plume qui se distingue dans la catégorie des super-lourds.

Hélas, le portrait politique apparaît moins rose. Sur la liste des pays industrialisés, la Corée du Sud s’impose comme le plus polarisé avec… les États-Unis. (5) Fracturée en deux camps difficilement réconciliables.

Chacun craint de perdre son pays si l’autre prend le pouvoir. Tout cela même si les programmes des principaux partis ne sont pas toujours si différents!

Durant tout l’hiver, de nombreux manifestants réclament l’emprisonnement du président Yoon Suk-yeol. Destitué par l’Assemblée nationale de Corée, le président déchu se retrouve aujourd’hui devant la justice pour avoir mené une «insurrection». (Ahn Young-joon/Archives AP)

Durant tout l’hiver, de nombreux manifestants réclament l’emprisonnement du président Yoon Suk-yeol. Destitué par l’Assemblée nationale de Corée, le président déchu se retrouve aujourd’hui devant la justice pour avoir mené une «insurrection». (Ahn Young-joon/Archives AP)

Le sort des présidents sud-coréens illustre la férocité de la vie politique. Depuis 2004, trois présidents ont été visés par une procédure de destitution. Quatre ont fait l’objet d’accusations criminelles. Deux se sont retrouvés en prison.

En 2009, le président Roh Moo-hyun s’est suicidé, un an après avoir quitté le pouvoir dans la controverse!

On dit que pour devenir président de la Corée du Sud, il faut être un peu fou. Si vous ne l’êtes pas au début, ce n’est pas bien grave. Vous le deviendrez avant la fin de votre mandat...

Revenons à la loi martiale du 3 décembre. Dans les jours qui suivent, le président Yoon Suk-yeol se défend d’avoir tenté un coup d’État. Il décrit la loi martiale comme une mesure temporaire. Une manière... d’informer le public! (6)

Après avoir retiré la loi martiale, le président déchu Yoon Suk-yeol affirme qu’il s’agissait d’une mesure temporaire. Une manière d’informer le public! (Kim Hong-ji/Archives AP)

Après avoir retiré la loi martiale, le président déchu Yoon Suk-yeol affirme qu’il s’agissait d’une mesure temporaire. Une manière d’informer le public! (Kim Hong-ji/Archives AP)

Avez-vous entendu parler du général américain qui expliquait avoir détruit un village «pour le sauver» de l’ennemi? Pareil. En résumé, le président voulait abolir la démocratie pour la sauver!

Peine perdue. Le 14 décembre, malgré ses protestations, le président est destitué par l’Assemblée nationale.* Au moment du vote, un million de personnes sont rassemblées devant l’Assemblée nationale, en plein cœur de Séoul.

Même évincé du pouvoir, le président Yoon Suk-yeol n’abandonne pas. Il rêve de se porter à nouveau candidat. Sa cote de popularité remonte brièvement à près de 30%. Il continue à tirer les ficelles de sa formation politique, le Parti du pouvoir au peuple (PPP).

En désespoir de cause, Yoon copie la recette politique de Donald Trump. Il se dit victime de persécution. Ses partisans portent des casquettes «Make Korea Great Again»! Ils déploient des banderoles avec le slogan «Yoon Again»!

Aussi subtil, qu’un coup de massue en plein front!

Affiche électorale du président déchu Yoon Suk-yeol, à Séoul. Le clin d’œil à Donald Trump apparaît évident. «Yoon again» pour «Make Korea Great Again». Après le MAGA américain, Monsieur proposait le MKGA coréen. (Jean-Simon Gagné/Le Soleil)

Affiche électorale du président déchu Yoon Suk-yeol, à Séoul. Le clin d’œil à Donald Trump apparaît évident. «Yoon again» pour «Make Korea Great Again». Après le MAGA américain, Monsieur proposait le MKGA coréen. (Jean-Simon Gagné/Le Soleil)

Bientôt, le président déchu se retrouve devant la justice. Il est accusé d’avoir planifié une insurrection. (7) Une occasion d’en savoir davantage sur les dessous du complot. À un certain moment, des militaires s’étaient rencontrés «incognito» dans la succursale de la chaine de hamburgers Lotteria! (8)

Image humoristique (générée par l’intelligence artificielle) représentant les auteurs du coup d’État en train de planifier la prise du pouvoir dans une succursale de la populaire chaine de hamburgers Lotteria.

Image humoristique (générée par l’intelligence artificielle) représentant les auteurs du coup d’État en train de planifier la prise du pouvoir dans une succursale de la populaire chaine de hamburgers Lotteria.

Au cœur de la conspiration, on remarque un ancien chef du renseignement militaire, Noh Sang-won. Après sa carrière dans l’armée, Noh s’est lancé dans, l’astrologie et les arts divinatoires. Il se présente comme un… «consultant spirituel»! (9)

Un gentil illuminé, Mister Noh? Illuminé, peut-être. Gentil? C’est moins sûr.

Dans un carnet de notes, le conspirateur notait soigneusement le contenu des réunions préparatoires du Coup d’État. On sursaute en lisant que les soldats doivent «tirer pour tuer». (10)

* Le 4 avril, la Cour constitutionnelle (l’équivalent de la Cour suprême) a confirmé à l’unanimité la destitution du président. Même les juges conservateurs ont voté la destitution.

Aujourd’hui, le calme est revenu devant l’Assemblée nationale de Séoul. Sur la pelouse les petites statues colorées de «l’amour» et de «l’espoir» montent la garde. Devant la grille d’entrée, quelques conspirationnistes ont installé leur tente pour «renseigner» les visiteurs.

Statue représentant «l’amour» devant l’Assemblée nationale de la Corée du sud. (Jean-Simon Gagné/Le Soleil)

Statue représentant «l’amour» devant l’Assemblée nationale de la Corée du sud. (Jean-Simon Gagné/Le Soleil)

Les antivax restent les plus nombreux. Une mention spéciale à celui qui dénonçait l’implantation de puces électroniques dans les cerveaux. Les affiches du kiosque réussissaient à mélanger Elon Musk, Léonard de Vinci et les extraterrestres. Un tour de force, même si on s’y perd un peu.

Bref, le train-train quotidien est de retour. Est-ce à dire que la crise est finie? Ou que les élections du 3 juin marqueront un point tournant? Ne pariez pas trop là-dessus!

Le grand favori des sondages, le candidat du Parti démocrate, Lee Jae-myung, apparaît comme un vieux routier de la politique. En 2022, il avait été battu par seulement 230 000 votes. Sur un total de 44 millions.

Le favori pour l’élection présidentielle, Lee Jae-myung, qui appartient au Parti démocrate de Corée (DPK). Il a fait l’objet d’une tentative d’assassinat en janvier 2024. (Chung Sung-jun/AFP)

Le favori pour l’élection présidentielle, Lee Jae-myung, qui appartient au Parti démocrate de Corée (DPK). Il a fait l’objet d’une tentative d’assassinat en janvier 2024. (Chung Sung-jun/AFP)

Mais le candidat Lee est aussi une figure controversée. L’an dernier, il a été victime d’une tentative d’assassinat. (11) Poignardé dans le cou, il a survécu de justesse! Il fait désormais campagne avec une veste pare-balles.

«Une preuve de la division extrême du pays,» affirme-t-il.

S’il est élu, Lee Jae-myung promet de réconcilier la Corée. Un vaste projet. Surtout que le candidat aurait accumulé un nombre impressionnant de squelettes dans le placard. (12)

Le 1er juin, la Cour suprême de Corée a ordonné qu’il subisse un nouveau procès pour une infraction à la loi électorale. Il est accusé d’avoir menti lors d’un débat électoral, en 2022. En Corée, c’est une infraction qui peut vous rendre inéligible durant 10 ans!

Après quelques jours de flottements, les conspirationnistes ont repris leur place devant l’Assemblée nationale de la Corée du sud, à Séoul. (Jean-Simon Gagné/Le Soleil)

Après quelques jours de flottements, les conspirationnistes ont repris leur place devant l’Assemblée nationale de la Corée du sud, à Séoul. (Jean-Simon Gagné/Le Soleil)

Lee Jae-myung reste aussi empêtré dans des affaires de corruption et de détournement de fonds liés. (13) Tellement que son Parti démocrate a présenté une loi pour assurer l’immunité à un président en exercice! Autrement dit, si le candidat Lee est élu, il échapperait à la justice pour au moins cinq ans! (14)

Comme si tout cela ne suffisait pas, la Corée du Sud doit composer avec le retour au pouvoir de Donald Trump. Et quel retour! Un ministre sud-coréen a même évoqué «un bombardement tarifaire».

Le président américain a d’abord menacé d’imposer un tarif de 25% sur tous les produits coréens, incluant les automobiles. Puis il a exigé que des entreprises comme Samsung réduisent les ventes de certaines micropuces à la Chine.

Le président américain Donald Trump tient un graphique lors de son discours sur les droits de douane réciproques lors d'un événement intitulé «Rendre l'Amérique riche à nouveau» dans la roseraie de la Maison-Blanche à Washington, DC, le 2 avril 2025. (Archives AFP)

Le président américain Donald Trump tient un graphique lors de son discours sur les droits de douane réciproques lors d'un événement intitulé «Rendre l'Amérique riche à nouveau» dans la roseraie de la Maison-Blanche à Washington, DC, le 2 avril 2025. (Archives AFP)

Enfin, il veut que la Corée paye beaucoup plus pour assurer sa sécurité. Peut-être jusqu’à 10 fois plus! Il lui importe peu qu’une nouvelle entente sur la défense entre la Corée et les États-Unis ait été signé en décembre.

«Le truc du président Trump constitue à prendre tout le monde de vitesse. Même la confusion fait partie de la stratégie, parce qu’elle complique votre réponse.»
Ban Kil-joo, aide-professeur à l’Institut national coréen des Affaires étrangères et de la sécurité.

«Il y a tout de même des limites, ajoute M. Ban. Donald Trump doit conserver des alliés dans le Pacifique. Il a besoin de la Corée du Sud et du Japon pour contenir la Chine. Il cherche aussi des investisseurs, notamment pour ses grands projets de gaz naturel liquéfié en Alaska. Alors la Corée du Sud dispose de quelques cartes dans son jeu.»

M. Ban Kil-joo, aide-professeur à l’Institut national coréen des Affaires étrangères et de la sécurité. (Jean-Simon Gagné/Le Soleil)

M. Ban Kil-joo, aide-professeur à l’Institut national coréen des Affaires étrangères et de la sécurité. (Jean-Simon Gagné/Le Soleil)

Pour l’instant, l’essentiel des mesures tarifaires a été reporté jusqu’au 8 juillet. (15) Ça ne vous rappelle pas quelque chose? (15)

À la longue, l’industrie sud-coréenne montre des signes d’impatience. Le mois dernier, les quatre plus grands groupes coréens ont boudé la visite de Donald Trump junior, le fils du président. Officiellement, ils ont plaidé un «conflit d’horaire». Officieusement, on raconte qu’ils ne voulaient pas rencontrer un «sous-fifre». (16)

Six mois plus tard, la tentative de coup d’État reste un choc. Un traumatisme national.

À l’approche des élections du 3 juin, la démocratie coréenne se sent plus fragile que jamais.

À droite, le candidat du Parti populaire du peuple, Kim Moon-soo, a exprimé ses regrets pour la loi martiale. Mais il a tardé à prendre ses distances avec le président Yoon. Comment réagira-t-il en cas de défaite?

À gauche, la brève loi martiale a ravivé de vieilles blessures. La Corée n’est devenue une démocratie qu’à la fin des années 1980. Les partisans du Parti démocrate redoutent qu’une minorité veuille revenir à cette époque. Y compris dans l’armée. (17)

De gauche à droite: les candidats à la présidentielle sud-coréenne, Lee Jae-myung du Parti démocrate, Kwon Young-guk du Parti démocrate du travail, Kim Moon-soo du Parti du pouvoir populaire et Lee Jun-seok du Parti de la nouvelle réforme, posent pour une photo avant le troisième débat télévisé pour l'élection présidentielle du 3 juin, au studio MBC, le 27 mai 2025 à Séoul, en Corée du Sud. (Kim Min-hee/Kyodo/Archives AP)

De gauche à droite: les candidats à la présidentielle sud-coréenne, Lee Jae-myung du Parti démocrate, Kwon Young-guk du Parti démocrate du travail, Kim Moon-soo du Parti du pouvoir populaire et Lee Jun-seok du Parti de la nouvelle réforme, posent pour une photo avant le troisième débat télévisé pour l'élection présidentielle du 3 juin, au studio MBC, le 27 mai 2025 à Séoul, en Corée du Sud. (Kim Min-hee/Kyodo/Archives AP)

Le mot de la fin appartient à Yi-joon, un étudiant de Séoul rencontré dans un autobus. Comme beaucoup de Coréens, il garde un souvenir très vif du moment où la loi martiale a été déclarée.

«Au début, j’ai refusé d’y croire. Puis je me suis précipité au Parlement, explique-t-il. J’ai dû passer des heures à tenter de barrer la route à un groupe de soldats. Bon. Peut-être pas des heures. J’exagère. Je ne sais plus trop. En tout cas, les soldats ne devaient pas comprendre grand-chose. Nous étions une vingtaine à leur crier après. Tous en même temps.»

«Aujourd’hui, ça me fait sourire, continue l’étudiant. Sur le coup, j’étais complètement paniqué. Je pensais aux manifestants que l’armée a massacrés durant la dictature, dans les années 1980. Je me demandais si j’allais finir comme eux...»

Signe des temps, Monsieur ne sait pas pour qui voter, le 3 juin! Apparemment, la joute politique ne l’inspire pas beaucoup. Il trouve que les principaux partis tardent à s’occuper des problèmes concrets du pays, comme la crise du logement. Séoul s’impose comme l’une des villes les plus chères du monde. Le prix du m² y est deux fois plus élevé qu’au Québec!

Je me suis engagé à conclure en remettant dans l’ordre un proverbe qu’il citait tout de travers. «La démocratie, c’est comme la saucisse. Il vaut mieux ne pas voir de trop près comment c’est fabriqué...»

Ces jours derniers, un chroniqueur du Korea Times a comparé les méthodes de négociation de Donald Trump à celles du crime organisé.

«Supposons que vous avez un restaurant de poulet frit, écrit-il. Un jour, je me présente comme client de votre restaurant. Je déclare que je suis très en colère. Je vous accuse de m’avoir exploité depuis des années. J’ajoute que j’en ai ras le bol.

Je me plains que nos échanges ont toujours été injustes, même si je fréquente votre restaurant depuis des années sans rien dire. Pour finir, je déclare qu’il serait bien dommage que votre commerce soit la proie des flammes sous prétexte qu’un client aurait perdu la tête. Rendu fou par tant d’injustices.

Bon prince, je propose mes services pour éviter qu’un incendie malheureux ne détruise votre commerce. En échange, vous devrez abaisser vos prix pour moi. Vous serez aussi obligé d’acheter vos ingrédients dans l’une de mes entreprises, même si tout y est beaucoup plus cher qu’ailleurs.

Et puis, tant qu’à y être, vous pourriez aussi m’offrir une nouvelle friteuse pour le poulet. Car voyez-vous, j’ai décidé de lancer mon propre restaurant. Ça vous fera un peu de concurrence!

Voilà. Mon nom est Donald Trump. Avouez qu’il s’agit d’une offre que vous ne pouvez pas refuser!»

Notes

(1) In South Korea, a Blueprint for Resisting Autocracy? The New Yorker, 15 décembre 2024.
(2) How South Korea’s President Planned a Military Takeover, Then Blew It, The New York Times, 10 mars 2025.
(3) Fear, Fury and Triumph: Six Hours that Shook South Korea, BBC News, 4 décembre 2024.
(4) South Korean Democracy Was Nearly Toppled by Its President. It Was Saved by Its People, The Guardian, 21 janvier 2025.
(5) Most Across 19 countries See Strong Partisan Conflicts in their Society, Especially in South Korea and the U.S. Pew Research Center, 16 novembre 2022.
(6) South Korea’s President Yoon Suk-yeol Arrested after Stand-Off with Police, Financial Times, Londres, 15 septembre 2025.
(7) South Korea’s Ex-President Attends First Day of Criminal Trial, Agence France-Presse, 14 avril 2025.
(8) Memes, Satire about Hamburger Franchise Spread Amid Martial Law Plot Allegations, Korea Times, 19 décembre 2024.
(9) Ex-Intelligence Chief Noh Sang-won Linked to Martial Law Plot, Runs Fortune-Telling Business, Korea Times, 20 décembre 2024.
(10) En Corée du Sud, la loi martiale mûrement pensée, Le Monde, 29 janvier 2025.
(11) South Korean Opposition Leader Injured in Knife Attack, Recovering at ICU, 1er janvier 2024, NBC News.
(12) Profile: Who is DPK’s Lee Jae-myung? Korea Times, 10 mai 2025.
(13) Top Court Overturns Acquittal in Lee Jae-myungʼs Election Law Violation Case, Korea Times, 1er mai 2025.
(14) Opposition Party Proposes Bill to Halt Criminal Trials fo Elected Presidents, Korea Times, 2 mai 2025.
(15) South Korea, US Aim for Trade Package Before Tariff Pause Ends in July, Reuters, 25 avril 2025.
(16) Why Heads of Korea’s Top Business Skipped Trump Jr. Meeting, 1er mai 2025.
(17) Corée du Sud: l’ombre du retour d’un régime dictatorial plane sur la présidentielle, Courrier international, 25 mai 2025.

Design graphique
Nathalie Fortier, Le Soleil