LÉA HARVEY
lharvey@lesoleil.com

PHOTOS ET VIDÉOS
Frédérick Matte, Le Soleil

À l’automne 1992, Jean Paul Riopelle apprend le décès de son ancienne conjointe, la peintre américaine Joan Mitchell avec qui il a vécu pendant plus de 20 ans. Quelques jours plus tard, dans son atelier mythique de l’Île aux Oies, il entreprend la création d’une immense fresque de plus de 40 mètres de long: L’hommage à Rosa Luxemburg.

En vue de l’installation de l’œuvre au sommet du futur Espace Riopelle, Le Soleil vous propose une incursion au cœur de la restauration de cette création majeure dans la carrière du célèbre peintre québécois.

Les premiers visiteurs déambulent dans le grand hall du pavillon Pierre Lassonde. Un étage plus bas, l’équipe du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) est déjà au boulot dans le grand corridor où trône L’hommage à Rosa Luxemburg.

Derrière les cordons de sécurité et les écriteaux «travaux en cours», une dizaine de personnes s’activent autour d’un tronçon du triptyque, déposé sur des tables.

Depuis quelques jours, la restauratrice Aimie Turcotte et ses collègues procèdent à l’examen de la célèbre œuvre. Tous les tableaux (les portions rectangulaires sur la toile) sont analysés individuellement.

«Les restaurateurs ont un code de déontologie à suivre. […] Il y a des principes de base, dont la documentation de l’œuvre qui est très importante»
– Aimie Turcotte, en entrevue au Soleil

Pendant l’exercice, toutes les observations de la professionnelle seront notées: les craquements de tel endroit, les surfaces jaunies ici, le soulèvement de la peinture là. Les produits utilisés sur la toile seront eux aussi consignés, et ce, même s’ils sont tous réversibles.

Normalement, pendant ou après l’examen de la toile, l’équipe de restauration procéderait au dépoussiérage de celle-ci. Or, puisqu’elle était en vitrine depuis plusieurs années, cette étape a été écourtée.

L’œuvre avait été bien nettoyée après son passage au Casino de Hull, au début des années 2000. À l’époque, les effluves de cigarettes et d’un restaurant s’étaient déposés sur la surface.

«[Aujourd’hui], ce n’est pas une œuvre qui nécessite beaucoup de travail. Elle est en bon état», constate la diplômée d’une maîtrise en restauration-conservation.

En général, chaque toile a ses particularités: des tests sont réalisés afin d’observer la réaction de l’œuvre face aux vernis, aux adhésifs, solvants et autres substances chimiques qui seront employés.

L’hommage à Rosa Luxemburg pose un beau défi pour les équipes du MNBAQ, car les produits utilisés par Riopelle sont nombreux. Peinture à l’huile, à l’eau, en bombe aérosol, à textile et autres matériaux cohabitent sur la longue toile.

«Ici, on voit que le noir a perlé en séchant. […] Il y a beaucoup de mélanges de matériaux qui semblent avoir une bonne compatibilité, mais dans certains cas on a des petits soulèvements [de la matière]», observe Mme Turcotte, qui se spécialise en peinture.

«Les artistes y vont selon leur inspiration… Peut-être que [Riopelle] trouvait ça super intéressant [l’effet perlé] et qu’il aimait ça! Mais, pour la conservation, ça nous pose plus de défis», ajoute Aimie Turcotte, en rigolant.

Dans les cas plus complexes, le musée collabore d’ailleurs avec le Centre de conservation du Québec. L’organisme œuvre à temps plein dans la restauration et la conservation du patrimoine québécois et possède ainsi des équipements plus spécialisés.

Pour L’hommage à Rosa Luxemburg, des adhésifs pourraient être appliqués où la peinture s’écaille. Certaines zones seront simplement identifiées afin d’être protégées lors de déplacements, surveillées dans les années à venir, etc.

En restauration, rien n’est laissé au hasard. Tous les gestes posés sur la toile sont réfléchis… En particulier lorsqu’il est question de corriger des détails.

Pendant l’examen de la toile, des «griffures» ont notamment piqué la curiosité d’Aimie Turcotte. Avant de savoir si une intervention est nécessaire, la restauratrice posera toutefois une question centrale: ces marques font-elles partie intégrante de l’œuvre?

Pour y répondre, elle devra vérifier d’anciennes photos de L’hommage, discuter avec le conservateur, feuilleter des livres de référence, etc.

«On va prendre la décision plus tard. Si on fait des retouches, on utilise des matériaux qui sont complètement réversibles. On a des couleurs de conservation qui ne jaunissent pas, qui vieillissent bien. […] Il y a différents degrés de retouche», explique Mme Turcotte.

Que ce soit une œuvre de Riopelle ou celle d’un peintre méconnu, toutes les précautions sont prises afin de respecter l’intention de l’artiste, assure-t-elle.

Après avoir été traitées aux petits oignons, les trois pièces de L’hommage à Rosa Luxemburg ont finalement été débrochées de leurs châssis. 

Après l’examen de son revers, la longue toile a par la suite été roulée et emballée afin d’être conservée jusqu’à son installation dans le nouveau pavillon du MNBAQ.

Une fois installée au dernier étage de l’Espace Riopelle, sans vitrine, L’hommage à Rosa Luxemburg nécessitera peut-être un dépoussiérage plus fréquent. Elle devrait toutefois être protégée des rayons du soleil grâce à des filtres spéciaux dans les fenêtres du bâtiment… et de bons vieux rideaux!

Installée sur une surface courbe, elle sera fixée au mur grâce à un système d’aimants, conçu spécialement pour elle.

Par le passé, la toile a été présentée sous diverses formes (en U carré, en zigzag ou encore de façon linéaire), mais ce sera la première fois que le public sera enlacé par celle-ci.

(Les architectes FABG)

(Les architectes FABG)

L’hommage à Rosa Luxembourg est la plus grande œuvre réalisée par le célèbre peintre québécois Jean Paul Riopelle. Quoique boudée par les collectionneurs à une certaine époque, elle est aujourd’hui considérée comme «le chef-d’œuvre» de sa dernière période artistique. Une pièce «majeure» de la collection du MNBAQ, affirme André Gilbert, commissaire d'exposition au MNBAQ.

À travers les 40 mètres de toile, on remarque une trentaine de «tableaux». Il s’agit, en fait, de la forme rectangulaire de la table où Riopelle peignait.

Les couleurs évoluent, au fil de la toile, mais elles sont globalement assez vives. L’argent, l’or, le cuivre côtoient le bleu, le vert ou le rouge. «À cette époque de sa vie, il utilise beaucoup ces teintes qui sont très généreuses, baroques, exubérantes», souligne André Gilbert.

Corps d’oiseaux, fer à cheval, rame, feuillage et autres objets parsèment l’œuvre. En la parcourant, on voyage ainsi jusqu’à l’Île aux Oies. À l’époque, Riopelle chasse moins, mais il utilise les prises de ses amis comme pochoirs, mentionne M. Gilbert. Comme s’il s’agissait de «fantômes».

«C’est le symbole le plus fort et le plus universel de toute cette œuvre: l’amour pour Joan Mitchell, Riopelle le pose sur le fantôme d’une oie.»

— ANDRÉ GILBERT

Trois femmes teintent le titre Hommage à Rosa Luxemburg

Les curieux pourront (re)découvrir L’hommage à Rosa Luxemburg dès l’ouverture de l’Espace Riopelle prévue à l’automne 2026. Pour l’occasion, une expérience olfactive accompagnera d’ailleurs l’œuvre.

Les curieux pourront (re)découvrir L’hommage à Rosa Luxemburg dès l’ouverture de l’Espace Riopelle prévue à l’automne 2026. Pour l’occasion, une expérience olfactive accompagnera d’ailleurs l’œuvre.

Design graphique
Pascale Chayer, Le Soleil

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