AU SECOURS,
LA BOMBE ATOMIQUE
EST DE RETOUR!
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JEAN-SIMON GAGNÉ
jsgagne@lesoleil.com
Durant des années, la menace nucléaire semblait s’éloigner. Mais il s’agissait d’une illusion d’optique. À la grandeur du monde, une nouvelle course à la bombe se dessine. À eux seuls, les États-Unis prévoient qu’ils vont dépenser 1700 milliards $ pour moderniser leur arsenal nucléaire d’ici 30 ans. Au secours, la bombe atomique est de retour!
La plus grande bombe atomique de l’arsenal des États-Unis s’appelle la B83, parce qu’elle est née en 1983. 41 ans. Un âge vénérable pour un engin atomique, mais qui ne change rien à son potentiel destructeur. La B83 possède 80 fois la puissance de la bombe larguée sur la ville japonaise d’Hiroshima, le 6 août 1945. (1)
Quand la B83 explose, elle génère en deux ou trois secondes une boule de feu de deux kilomètres de diamètre. À l’intérieur, la température atteint plusieurs millions de degrés. Une chaleur supérieure à celle qui règne à la surface du soleil!
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Bombe B83. — Photo Wikimedia Commons
Bombe B83. — Photo Wikimedia Commons
Le souffle brulant de l’explosion voyage à plus de 1000 km/h. Il défonce les murs de brique. Il soulève les camions-remorques dans les airs. Tout s’enflamme. À quatre kilomètres du point d’impact, les passants se transforment en torche humaine. Sans avoir le temps de réaliser ce qui s’est passé... (2)
Malgré tout ce qui précède, la B83 reste pourtant une bombe «modeste». Au besoin, on pourrait en fabriquer des beaucoup plus grosses. Le 30 octobre 1961, les Soviétiques ont fait exploser la «reine des bombes atomiques», la Tsar Bomba, un mastodonte de 50 mégatonnes. (3) 3800 fois la bombe larguée sur Hiroshima…
Je vous épargne la liste des ravages provoqués par la Tsar Bomba. Il suffit de dire que le flash de l’explosion a été aperçu à 1000 kilomètres de distance. Autrement dit, si une telle bombe explosait sur New York, on verrait une sorte d’éclair à l’horizon jusqu’au Saguenay...
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Réplique de la Tsar Bomba, un mastodonte soviétiques de 50 mégatonnes. — Photo Wikipédia
Réplique de la Tsar Bomba, un mastodonte soviétiques de 50 mégatonnes. — Photo Wikipédia
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La nouvelle course atomique
Il faut bien l’admettre. Durant des années, le monde a un peu oublié la B83, la Tsar Bomba et leurs congénères. La Guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique était terminée. Hiroshima, les abris antiatomiques, les publicités apprenant aux écoliers à se protéger d’une attaque atomique, tout cela appartenait à un autre âge.
C’est vrai, il y avait le Nord-Coréen Kim Jong-un. Ses essais plus ou moins secrets. Ses missiles. Ses menaces. En 2016, Monsieur avait même fait diffuser des vidéos montrant le bombardement atomique de Washington. On aurait dit une version démoniaque de l’ancien dessin animé La fourmi atomique...
Le danger nucléaire était devenu lointain. Abstrait. À travers le monde, le nombre de bombes atomiques avait diminué de manière spectaculaire. En 1986, on en dénombrait plus de 63 000. En 2023, il en restait environ 12 500. (4)
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Des transfuges nord-coréens se préparent à lâcher des ballons transportant des tracts et une banderole condamnant le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un lors d’un rassemblement dénonçant le dernier essai nucléaire de la Corée du Nord. — Photo AP
Des transfuges nord-coréens se préparent à lâcher des ballons transportant des tracts et une banderole condamnant le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un lors d’un rassemblement dénonçant le dernier essai nucléaire de la Corée du Nord. — Photo AP
Hélas, cette ère d’insouciance atomique tire à sa fin. Les tensions mondiales sont à la hausse. Une nouvelle course à la bombe s’annonce. (5) Plus folle. Plus coûteuse que jamais. D’ici 30 ans, les États-Unis veulent engloutir 1700 milliards $ pour moderniser leur arsenal, souvent hérité de la guerre froide. (6)
Les autres pays détenteurs de la bombe ne sont pas en reste. La Chine entend tripler sa capacité atomique d’ici 2025. (7) La France travaille sur un nouveau missile de croisière, capable de transporter la bombe plus loin, plus vite.
Faut-il parler de la Russie? Malgré la guerre en Ukraine, la Russie a fait l’essai d’un missile capable de voler à 33 000 km/h. 27 fois la vitesse du son! En théorie, cela permettrait de frapper le territoire américain en une demi-heure… (8)
De quoi donner raison à l’humoriste qui disait:
«L’avantage de la guerre atomique, c’est qu’elle se révèle de courte durée. Avec un peu de chance, tout est terminé au bout d’une heure et demie. Il ne reste plus rien à anéantir...»
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Les scorpions dans une bouteille
Comment a-t-on pu en arriver là? Depuis des décennies, l’arme atomique est devenue l’assurance suprême. On prétend qu’on ne s’arme pas pour gagner la guerre atomique. Seulement pour la prévenir.
La doctrine de la «destruction mutuelle assurée» gouverne le monde. (9) Le scénario le plus récent d’une guerre atomique entre la Russie et les États-Unis évoque 360 millions de morts de manière instantanée. Et cinq milliards de décès supplémentaires à cause des radiations et de la famine. (10)
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Le physicien Robert Oppenheimer. — Photo AP
Le physicien Robert Oppenheimer. — Photo AP
Le physicien Robert Oppenheimer comparait la situation à celle de deux scorpions emprisonnés dans une bouteille. Chacun peut tuer l’autre, mais avec la certitude de subir le même sort.
En 2022, des chercheurs ont mesuré l’impact d’une guerre atomique «limitée», en supposant qu’une telle chose existe. (11) Ils ont évalué les dégâts causés par l’explosion d’une centaine d’engins atomiques ayant la puissance de la bombe larguée sur Hiroshima.
En résumé, même ce conflit «limité» suffit à bouleverser le climat. Les explosions envoient des millions de tonnes de poussière dans l’atmosphère. Assez pour voiler le soleil et faire plonger les températures. En route pour la plus grande famine de l’histoire…
Le verdict? 27 millions de personnes sont tuées sur le coup. Et 255 millions meurent de faim durant les mois suivants… (12)
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Un amour
de bombe
Une question brûlante se pose. Si quelques centaines de bombes atomiques suffisent pour anéantir votre ennemi, pourquoi faut-il en construire des milliers?
Satanée question. Dès le début des années 50, les scientifiques américains s’entendaient pour dire que 200 bombes atomiques suffiraient pour anéantir l’Union soviétique et la Chine communiste. Mais cela n’empêchera pas les États-Unis d’en construire beaucoup plus.
Les cyniques disent que les bombes atomiques, c’est comme l’argent. Ou la crème glacée. On n’en a jamais assez. Avec le temps, votre arsenal atomique devient comme un être vivant. Il faut sans cesse l’alimenter et l’entretenir. Sous peine de le voir s’affaiblir et devenir vulnérable à une attaque.
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Bombe B83 démontée. — Photo Wikimedia Commons
Bombe B83 démontée. — Photo Wikimedia Commons
La quincaillerie nucléaire vaut le coup d’œil. Le temps nous manque pour parler des prouesses du missile hypersonique et du bombardier furtif. Mine de rien, les États-Unis possèdent 14 sous-marins atomiques. Chacun mesure l’équivalent de deux terrains de football. Il peut lancer 80 bombes atomiques en 90 secondes...
À la blague, on dit que ces sous-marins atomiques constituent le plus grand danger qui guette l’Humanité, à part peut-être une collision entre un astéroïde géant et la Terre. (13)
Vers 1967, au plus fort de la folie, les États-Unis détenaient plus de 31 000 bombes atomiques. Suffisamment pour pulvériser 150 fois chaque citoyen soviétique! Et les dépenses atomiques galopaient comme un cheval qui s’est emballé. Entre 1940 et 1996, elles totalisent 11 587 milliards $ [en argent de 2024]. (14)
Permettez-moi un calcul. Une fois convertie en dollars canadiens, cette somme colossale permettrait de construire 5910 fois le pont de l’île d’Orléans. Et il resterait encore 870 millions $ d’argent de poche pour vous payer quelques bombes...
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L’apocalypse déclenchée par des bernaches?
On décrit souvent la guerre atomique comme une chose impossible. Ou impensable. Mais il faut rappeler que le monde a plusieurs fois frôlé la catastrophe.
Connaissez-vous l’histoire du radar qui a confondu un voilier de bernaches avec une attaque de missiles ennemis? Ou celle de l’ours qui s’est infiltré sur une base ultra-secrète à Duluth, dans le Minnesota? On croit d’abord qu’il s’agit d’un saboteur soviétique. L’alerte maximale est déclenchée!
Un officier a tout juste eu le temps d’arrêter le décollage de plusieurs avions qui sont chargés de la riposte atomique! (15)
En 1979, une cassette de simulation d’une attaque atomique a été insérée par erreur dans un ordinateur du NORAD, la défense aérienne de l’Amérique du Nord. Durant quelques minutes, c’est la panique. Des avions ont même décollé pour tenter d’intercepter les missiles...
Plus près de nous, il semble que la Russie ait brièvement envisagé la possibilité d’utiliser une «petite» bombe atomique, à l’automne 2022, pour stopper la contre-offensive ukrainienne. Les services de renseignements américains évaluaient alors les probabilités d’une guerre atomique à 50%, si les Ukrainiens menaçaient de reprendre la Crimée. (16)
Le sort du monde réglé à pile ou face?
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Épilogue: minuit moins une?
Quelle heure est-il sur l’horloge de l’apocalypse? En 1947, des scientifiques comme Albert Einstein et Robert Oppenheimer ont créé cette horloge symbolique pour sensibiliser le monde aux dangers d’une guerre atomique.
Depuis, les rédacteurs du Bulletin of the Atomic Scientists ajustent l’heure de l’horloge chaque année. Si le danger nucléaire diminue, ils éloignent la grande aiguille de minuit. Si la situation devient plus périlleuse, ils rapprochent l’aiguille de l'heure fatidique. (17)
En janvier 2024, pour la deuxième année consécutive, l’horloge de l’apocalypse a été réglée à 23h58 et 30 secondes. Une minute et demie avant la catastrophe. À part durant la guerre de Corée, en 1953, jamais le monde n’a été plus proche d’un conflit nucléaire.
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Le président américain Barack Obama et le premier ministre japonais Shinzo Abe au parc commémoratif de la paix d'Hiroshima, le 27 mai 2016 — Photo archives AP, Carolyn Kaster
Le président américain Barack Obama et le premier ministre japonais Shinzo Abe au parc commémoratif de la paix d'Hiroshima, le 27 mai 2016 — Photo archives AP, Carolyn Kaster
La réduction des armes atomiques n’apparaît plus à l’ordre du jour. L’Accord sur le nucléaire iranien semble mort et enterré. Les États-Unis se sont retirés du Traité ABM sur les missiles antibalistiques et du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Plus récemment, la Russie a suspendu sa participation au traité START sur les armes nucléaires stratégiques.
On croit rêver en se souvenant qu’en janvier 1986, le leader soviétique Michael Gorbatchev avait proposé de bannir toutes les armes nucléaires du monde avant l’an 2000. (18) Aujourd’hui, le chef d’État qui ferait ce genre de proposition passerait pour un hurluberlu. Ou pour un fou dangereux.
Encore une fois, le monde semble prêt à s’écrier, tel le célèbre politicien québécois Camille Samson : «Nous sommes au bord du précipice. Faisons un grand pas en avant!»
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Une bombe atomique de 1,2 mégatonne sur Québec
Bien sûr, la ville de Québec ne constitue pas une cible prioritaire. On voit mal pourquoi une puissance nucléaire la viserait. En cas de guerre atomique, Québec aurait plus à craindre des radiations provenant de l’explosion de plusieurs bombes aux États-Unis.
Imaginons tout de même qu’une bombe à hydrogène de 1,2 mégatonne explose au-dessus de l’édifice du Parlement. En l’espace de quelques secondes, la boule de feu couvre un diamètre de plus de deux kilomètres.
Tout ce qui se trouve à l’intérieur de la boule de feu est réduit en miettes. Cela veut dire le Vieux-Québec, la Citadelle, le quartier du Petit-Champlain, la place Royale, le quartier Saint-Jean-Baptiste, le Complexe G, le Château Frontenac.
Le souffle brûlant de l’explosion voyage à plus de 1000 km/h, en démolissant la plupart des bâtiments dans un rayon de 7,5 km du point d’impact. Les quartiers Duberger et Lebourgneuf sont anéantis. Même chose pour Charlesbourg et Beauport. Sur l’île d’Orléans, le village de Sainte-Pétronille est dévasté.
Tous les malchanceux qui se trouvent dans un rayon de 13 kilomètres de l’explosion subissent des brûlures au troisième degré. À l’est, cela inclut Boischatel et Saint-Pierre de l’île d’Orléans. À l’ouest, les gens sont brûlés aussi loin que Cap-Rouge. Et même à Pintendre, sur la Rive-Sud.
Les estimations évoquent 180 000 morts et 278 000 blessés. Il n’est pas exagéré de dire que la ville de Québec est rayée de la carte…
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Un scénario de guerre atomique
Un nouveau livre imagine le scénario d’une guerre atomique totale, déclenchée par le lancement nord-coréen en direction des États-Unis. Sans jouer les divulgâcheurs, nous pouvons révéler que l’affaire se termine mal. Très mal.
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L’ensemble de la crise se déroule à une vitesse qui laisse pantois. Au début, le président américain dispose de six minutes pour déterminer si la menace est réelle. Une tâche humainement impossible.
Au passage, l’espoir de se protéger contre une attaque se révèle dérisoire. Les États-Unis disposent de 44 intercepteurs pour abattre des missiles atomiques. Mais comme la Russie peut en lancer des milliers, il s’agit davantage d’un spectacle.
Le sort de l’humanité est scellé en 72 minutes bien chronométrées.
Source: Annie Jacobsen, Nuclear War, A Scenario, Dutton, 2024.
Notes
(1) End of an Era: Last of Big Atomic Bombs Dismantled, Associated Press, 26 octobre 2011.
(2) Annie Jacobsen, Nuclear War, A Scenario, Dutton, 2024.
(3) Tsar Bomba, Soviet Thermonuclear Bomb, britannica.com, 24 mars 2024.
(4) The New Nuclear Age, Scientific American, Vol. 329, No 9, Décembre 2023.
(5) La relance de la course aux armements nucléaire se confirme, Les Échos, 12 juin 2023.
(6) The Sky’s the Limit on Nuclear Weapons Spending, But What Does It Really Get Us? Union of Concerned Scientists, 2 août 2023.
(7) 3 Nuclear Superpowers, Rather than 2, Usher In a New Strategic Era, The New York Times, 19 avril 2023.
(8) Missiles hypersoniques: qu’est-ce que le système Avangard, déployé par la Russie dans l’Oural? Le Figaro, 21 décembre 2022.
(9) Nowhere to Hide, Bulletin of Atomic Scientists, 20 octobre 2022.
(10) Nuclear War Between the U.S. and Russia Would Kill More than 5 Billion People – Just from Starvation, Study Finds, CBS News, 16 août 2022.
(11) Jonas Jägermeyr, Alan Robock et 16 autres, A Regional Nuclear Conflict Would Compromise Global Food Security, PNAS, 11 mars 2020. https://www.pnas.org/doi/full/10.1073/pnas.1919049117
(12) How We Return To the Brink, The New York Times, 10 mars 2024.
(13) Annie Jacobsen, Nuclear War, A Scenario, Dutton, 2024.
(14) The Price of Victory in the Cold War Is $5,8 Trillion for Nuclear Arms and Delivery Systems, Says Panel, Physics Today, Août 1998.
(15) The Nuclear Mistakes that Nearly Caused World War Three, BBC News, 9 août 2020.
(16) Nuclear War: the Rising Risk and How We Stop It, The New York Times, 7 mars 2024.
(17) What Is the Doomsday Clock and Why Should You Care? Discover, 23 janvier 2024.
(18) Gorbachev’s Nuclear Initiative of January 1986 and the Road to Reykjavik, National Security Archive, 12 octobre 2016.
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