LA FAIM, AU QUOTIDIEN

Ce sont les planteurs de Lessiri qui, les premiers, m’ont illustré à quoi ressemble leur journée-type.
«C’est pénible, notre quotidien. Très pénible. Tu te lèves le matin, tu n’as rien à manger. Tu pars travailler le ventre creux. Avec seulement une bouteille d’eau, tu passes la journée à besogner. Il fait chaud, très chaud. Tu n’as rien dans le ventre. Tu marches parfois longtemps pour revenir chez toi. Vers 18h ou 19h, tu manges un repas, le seul de ta journée. Du riz, essentiellement. Avec un peu de poisson, des légumes, une sauce.»





Après, chaque fois que j’ai posé la question, on m’a toujours répondu la même chose: le planteur et sa famille mangent un repas par jour. C’est comme ça.
«Deux repas, c’est si tu as vraiment beaucoup de chance, et ce sera du riz couché, c’est-à-dire du riz de la veille qui pourra servir de petit-déjeuner», expose Daufin.

J’ai compris au fil des discussions que ce riz-là, quand il y en a, c’est aux enfants qu’on le donne. J’ai aussi compris que certains sont si pauvres qu’il n’y a parfois même pas un plat par jour pour remplir les bols et les bedons.
La douleur dans le regard de cette mère de famille qui peinait à nourrir ses enfants, elle ne se décrit pas.





La faim fait partie des tourments que nomment et endurent les cultivateurs de cacao. Chaque jour.
«Trois repas, ça vous arrive?»
Yeux écarquillés, air incrédule. «Trois? Par jour? À ma souvenance, ce n’est jamais arrivé, non», répond Daufin.

Il a la cinquantaine, pourtant. La satiété n’a jamais fait partie de son vocabulaire. C’est lui qui m’a raconté qu’après le frugal repas du soir, les adultes ne traînent pas. Il n’y a pas de moment pour se déposer, pas de temps de loisir. Les jeunes font parfois leurs devoirs à la lueur d’une lampe de poche. Les parents, eux, s’effondrent. Littéralement.
«On est tous tellement fatigués, on va se coucher.»





Ils savent qu’au petit matin, la même corvée les attend. Et encore le surlendemain, comme toutes les journées qui suivent.
Demain est toujours une souffrance.
Ce reportage a été réalisé grâce à une bourse du Fonds québécois en journalisme international.
Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne
