La fois où Fleurimont a failli s'appeler «Sherville»
Par M. Hist - Musée d'histoire de Sherbrooke

M. Hist,
Je vous ai entendu dans une vidéo sur votre chaîne YouTube parler de l’origine du nom de Saint-Élie et de Lake Park… Je me demandais ce que vous pourriez me dire sur le nom de mon secteur de Fleurimont? Pourquoi ce nom?
Merci, Audrey
Chère Audrey,
Ce nom évoque aujourd’hui un quartier bien connu de Sherbrooke, mais derrière ce toponyme se cache une savoureuse histoire, où la confusion postale rivalise avec l’imagination citoyenne. Remontons donc le temps pour découvrir comment un village qui s’appelait autrefois Ascot Nord est devenu Fleurimont. Accrochez vos ceintures (et vos sacs postaux), nous retournons au siècle dernier!

Tout commence en 1937, quand la municipalité d’Ascot Nord voit le jour. À cette époque, il y a environ un millier de personnes qui résident dans ce secteur Nord du Canton d’Ascot. Nous repasserons pour l’originalité du nom.
Sur cette publicité du nettoyeur «Yvette», le toponyme d’Ascot Nord est bien présent. On y voit d’ailleurs un tracé grossier des principales artères routières en 1964. (Photo Collection du Musée d’histoire de Sherbrooke)
Sur cette publicité du nettoyeur «Yvette», le toponyme d’Ascot Nord est bien présent. On y voit d’ailleurs un tracé grossier des principales artères routières en 1964. (Photo Collection du Musée d’histoire de Sherbrooke)
Mais voilà: même si cette municipalité est un peu éloignée des autres centres municipaux, Ascot Nord se trouve tout près de Ascot Corner, une municipalité voisine et au nom dangereusement proche. Et c’est là que les choses se corsent. Rapidement, cette similarité commence à semer la confusion: des lettres destinées à Ascot Corner aboutissent à Ascot Nord. Les techniciens de Bell Canada ou du gaz se présentent au mauvais endroit. Le courrier se perd, les rendez-vous sont manqués, et les résidents doivent régulièrement jouer au détective pour retrouver leurs colis… ou leurs installateurs de téléphone. Et ce n’est qu’un début.
Dans les années 1960, Ascot Nord compte environ 1490 habitants. Mais au cours de la décennie suivante, la population double. Plus de monde signifie plus de services… mais aussi plus d’erreurs!
La confusion administrative devient intenable. Les plaintes s’accumulent. Le conseil municipal, dirigé par le maire Julien Ducharme, décide de faire quelque chose.
En 1971, la décision tombe: on change de nom! Le conseil municipal lance un concours ouvert à tous les citoyens et citoyennes (et même au-delà, vous verrez…). Un comité est formé, composé de conseillers municipaux et de figures locales influentes. Le public répond avec enthousiasme: 49 personnes soumettent 86 suggestions.

Le comité passe au crible toutes ces propositions et en retient cinq finalistes: Pierrechu, Fleurimont, Bourgjoli, La Porte et Sherville. C’est finalement Fleurimont qui remporte la mise, grâce à un vote secret des membres du comité. Savez-vous qui a proposé ce nom élégant?
La suggestion ne vient pas d’un habitant d’Ascot Nord, mais d’un certain François Paré, résident de Longueuil. C’est lui qui a soumis ce nom en hommage à un personnage historique: le chevalier de Fleurimont, un officier de l’armée britannique ayant défendu le Bas-Canada contre les incursions américaines entre 1812 et 1814, dans la vallée du Richelieu.
Le 19 août 1971, le nom d’Ascot Nord disparaît (dans la désignation officielle, du moins) et la municipalité adopte le nom de Fleurimont. (Photo Gazette officielle du Québec, Québec official gazette, 28 août 1971)
Le 19 août 1971, le nom d’Ascot Nord disparaît (dans la désignation officielle, du moins) et la municipalité adopte le nom de Fleurimont. (Photo Gazette officielle du Québec, Québec official gazette, 28 août 1971)
Un nom chargé d’histoire, sonore, distinctif… et surtout, impossible à confondre avec Ascot Corner. Une fois le nom choisi, encore faut-il qu’il soit officialisé. La municipalité suit les démarches prévues par le Code municipal et soumet la demande au gouvernement provincial. Le ministère des Affaires municipales accepte le changement. Mais comme si l’histoire voulait faire un dernier clin d’œil, la lettre de confirmation officielle est livrée à… Ascot Corner! Ironie du sort ou ultime preuve que le changement était nécessaire?
C’est ainsi qu’est né Fleurimont, un nom qui a mis fin à des années de quiproquos postaux et de techniciens un peu perdus. Ce changement n’était pas qu’un caprice bureaucratique: il répondait à un vrai besoin d’identité et de clarté.
Symbole de la nouvelle désignation de la municipalité, une pancarte flambant neuve consacre «Fleurimont». De quoi réjouir le chevalier de Fleurimont d’il y a un siècle et demi… Mais surtout les habitants avides de recevoir leur courrier! (Photo La Tribune, 30 septembre 1971)
Symbole de la nouvelle désignation de la municipalité, une pancarte flambant neuve consacre «Fleurimont». De quoi réjouir le chevalier de Fleurimont d’il y a un siècle et demi… Mais surtout les habitants avides de recevoir leur courrier! (Photo La Tribune, 30 septembre 1971)
Certains demeurent moins optimistes quant à l’avenir de ce nom. À la fin de 1971, on affirme dans les colonnes de La Tribune qu’il est «à peu près certain que d’ici une période de temps relativement courte cette municipalité sera annexée à Sherbrooke et qu’elle portera donc le nom de Sherbrooke»… Le reste appartient à l’histoire!
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Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne