La révolution des tramways électriques transforme Sherbrooke

M. Hist,
J’ai lu que Sherbrooke avait, elle aussi, son réseau de tramway il y a un siècle… Sait-on jusqu’où se rendaient les lignes? Elles ne se limitaient pas au centre-ville, je crois?
Chère lectrice,
Vous avez raison… sur toute la ligne! Notre réseau de tramway était assez développé et l’on a très bien retracé ses ramifications. Alors, en voiture!
Remontons à la fin des années 1890. La révolution qui agite les rues ne vient pas des voitures ou des vélos, mais bien des tramways électriques! Des villes comme Montréal, Québec, et bien sûr Sherbrooke, ont la tête pleine de rêves de réseaux de transport en commun, et il ne faut pas longtemps avant que ces rêves se concrétisent. C’est ainsi qu’en 1895, la Sherbrooke Street Railway (SSR) voit le jour, grâce à l’implication de plusieurs hommes d'affaires influents de la région.
F.X. Couture et le modèle de tramway conçu à Sherbrooke. (Photo Collection Gérard Auray, Mhist)
F.X. Couture et le modèle de tramway conçu à Sherbrooke. (Photo Collection Gérard Auray, Mhist)
Deux ans après la fondation de la SSR, Sherbrooke ouvre ses premières lignes de tramway. Les lignes «Belt» et «Lennoxville» commencent leur service en 1897, avec une flotte de huit voitures prêtes à arpenter les rues. La ligne Belt relie des points stratégiques comme la gare Union et celle du chemin de fer Canadien Pacifique (CPR), ce qui rend le tramway essentiel pour les déplacements rapides à travers la ville. Quant à la ligne «Lennoxville», elle offre une fréquence de passage relativement faible, avec un tram toutes les 30 minutes. La population sherbrookoise, surtout les ouvriers et ouvrières, pouvaient désormais profiter d'un service de 6h30 à 23h, un luxe pour l'époque!
L’année suivante, la Ville fait un pas de plus vers la modernité avec l’inauguration de la ligne «Park» et du tout nouveau pont Aylmer, spécialement conçu en métal pour supporter le tramway. Cette ligne-ci permettait de se rendre jusqu’aux terrains de l’Exposition agricole et au parc Victoria.
Détail des trajets de tramway à leur apogée. (Image tirée de Louis-Philippe Demers, Sherbrooke, découvertes, légendes, documents, publié chez l’auteur, Sherbrooke, pp. 228-230)
Détail des trajets de tramway à leur apogée. (Image tirée de Louis-Philippe Demers, Sherbrooke, découvertes, légendes, documents, publié chez l’auteur, Sherbrooke, pp. 228-230)
Avec l’arrivée du 20e siècle, le réseau de tramway ne cesse de croître. La ligne «Newington» dessert bientôt l’est de la ville, notamment les ateliers du Québec Central. Puis en 1912, la ligne «Frontenac» est lancée, couvrant une nouvelle partie de la ville surnommée le «nouveau Nord», où se trouvent aujourd’hui les rues Portland, Prospect et Ontario. Cette ligne devient rapidement essentielle pour relier ce quartier résidentiel au centre-ville.
En 1920, la dernière expansion majeure du réseau voit le jour avec l’ouverture de la ligne «Fairmount» qui dessert l’ouest de la ville. Le réseau est alors à son apogée, il dessert alors 18,5 km et transporte plus de 1,8 million de passagers chaque année! On peut dire que Sherbrooke n’a rien à envier aux grandes villes canadiennes.

À la fois un signe de modernité, ce réseau permet à Sherbrooke de connaître un important développement urbain. L’impact est significatif pour la classe ouvrière. Effectuant des journées de 12 heures, six jours semaines, cette tranche de la population ne peut se permettre d’habiter à une demi-heure de marche de son lieu de travail. Les quartiers à proximité des usines sont rapidement surpeuplés. Ainsi, avec l’arrivée du tramway, à prix abordable, les familles ouvrières peuvent s’installer dans les quartiers plus éloignés.
Un billet de tramway du début du 20e siècle. On peut y lire le nom de F.X. Couture, intendant de la Sherbrooke Street Railway. Dans les années 1920, le billet coûte 10 sous pour les adultes et 4 sous pour les enfants. (Photo Fonds Eugénie-Gabrielle Caron-Shea, Mhist)
Un billet de tramway du début du 20e siècle. On peut y lire le nom de F.X. Couture, intendant de la Sherbrooke Street Railway. Dans les années 1920, le billet coûte 10 sous pour les adultes et 4 sous pour les enfants. (Photo Fonds Eugénie-Gabrielle Caron-Shea, Mhist)
Mais tout n'est pas rose sur les rails de la SSR. Toujours au début des années 1920, une hausse des tarifs fait grincer des dents les usagers et usagères et crée une véritable tempête au conseil municipal. Ces tensions, combinées aux défis économiques, plongent la Sherbrooke Railway & Power (c’est désormais sa nouvelle dénomination) dans des difficultés financières.
Le 8 décembre 1931, c’en est trop: la SRP lance un dernier ultimatum à la ville. Elle demande une subvention de 2000$ par mois et une fourniture d’électricité gratuite pour maintenir son service. La réponse de la ville est sans appel: elle refuse d’investir davantage dans ce réseau jugé coûteux et déficitaire. C’est ainsi que le 31 décembre 1931, les clochettes des tramways sonnent pour la dernière fois dans les rues de Sherbrooke. Ce divorce amène la ville et la compagnie dans une bataille judiciaire qui s'étire jusqu'en 1936. Et même si les tramways ont quitté les rues, leurs rails ne disparaissent pas complètement avant les années 1960!
Le tramway à Sherbrooke, c’est une belle page d’histoire qui a fait vibrer la ville pendant plus de trois décennies. Entre progrès techniques et luttes politiques, il s’est étendu dans de nombreux secteurs de la ville, et a laissé sa marque dans les mémoires collectives. Aujourd’hui, il ne reste que des traces historiques de ces fameuses rails… Prochain départ vers l’histoire locale: la semaine prochaine!
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Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne