LE COURANT NE PASSE PAS ENTRE SHERBROOKE ET DEAUVILLE

M. Hist,
J’ai comparé ma facture d’électricité avec celle de ma sœur qui a récemment déménagé dans le secteur de Deauville. Savez-vous pourquoi, dans la même ville, elle à Deauville, moi à Rock Forest, on a des factures d’électricité de deux compagnies différentes? Il semble que c’est comme ça depuis longtemps…
Isabelle
Chère lectrice,
Deauville et Rock Forest… deux secteurs d’un même arrondissement et si proche… Alors, comment expliquer cette différence que vous observez? Mettons-nous au courant.
(Image, La Tribune, 1er août 1980)
(Image, La Tribune, 1er août 1980)
Il y a effectivement de quoi se poser la question. En janvier 2002, Rock Forest et Deauville sont fusionnées à la ville de Sherbrooke, de même que les municipalités d’Ascot, de Bromptonville, de Fleurimont et de Lennoxville, ainsi que Saint-Élie-d'Orford. Comme la Ville de Sherbrooke gère son réseau d’électricité elle-même depuis plus d’un siècle, on pourrait s’attendre à ce que tous reçoivent des factures d’électricité provenant d’Hydro-Sherbrooke… Et bien, non!
Alors que la compagnie locale Sherbrooke Gas and Water Co. (SGW) détient le monopole de l’acheminement du gaz et de l’eau depuis 1880, c’est sa rivale montréalaise de la Royal Electric qui exploite en premier le potentiel hydroélectrique de la ville.
La même année, la SGW tente de rattraper le retard et met en opération la centrale électrique Frontenac (1888). À ce moment, et pour presque 20 ans encore, les compagnies privées sont rois et maîtres dans la distribution de l’électricité qui est vue comme la modernité, comme un luxe, plus que comme une nécessité.
Au tournant du siècle, un groupe mené principalement par Donat Oscar Édouard Denault et Daniel McManamy veut faire de l’électricité un produit essentiel, publique et accessible, notamment en municipalisant le réseau local. Bien évidemment, l’élite anglaise, propriétaire du SGW, ne l’entend pas ainsi.
Après plusieurs référendums, la Cité de Sherbrooke finit par municipaliser le réseau de son territoire en 1908. Les barrages de la Magog connaissent des travaux et des modifications dans les années suivantes. Et, comme la ville continue de s’agrandir et ses besoins aussi, d’autres centrales sont construites. La centrale Rock Forest est d’ailleurs érigée en 1911.

Avec cette centrale si proche, on pourrait penser que Deauville relèverait aussi d’Hydro-Sherbrooke. Pas tout à fait non plus! Alors, d’où vient la différence de statut entre Deauville et Rock Forest? Il faut regarder moins du côté des barrages eux-mêmes que des administrations.
Rappelez-vous la Révolution tranquille, dans les années 1960, le gouvernement du Québec nationalise des installations privées, municipales et de coopératives afin de former le grand réseau d’Hydro-Québec et, surtout, de rendre l’électricité accessible et publique. Une dizaine de villes tiennent à garder leur réseau municipal, dont Coaticook, Magog et Sherbrooke.
Et voilà où se trouve la réponse: bien qu’étant un secteur de l’actuelle ville de Sherbrooke, Deauville (qui s’appelle Petit-Lac-Magog jusqu’en 1945) n’est pas desservie par le Service du Gaz et de l’Électricité de Sherbrooke (qui devient Hydro-Sherbrooke en 1963). Hydro-Québec prend possession du réseau municipal de distribution d’électricité de Deauville en août 1980. Au terme d’une transaction de 365 000$, Deauville rejoint le réseau de distribution d’Hydro-Québec plutôt que celui d’Hydro-Sherbrooke.
Comme on peut le voir sur la carte ci-dessous, la ligne bleue délimite le territoire desservi par Hydro-Sherbrooke. On aperçoit le secteur de Deauville en gris, à l’ouest et au nord du lac. En résumé: le territoire municipal et celui du réseau électrique ne sont tout simplement pas identiques. Deux histoires différentes, deux évolutions au fil des circonstances… Et deux factures!
(Image, Ville de Sherbrooke)
(Image, Ville de Sherbrooke)
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Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne