LE MONDE DE LA BIÈRE SOUS PRESSION

Jérôme Gaudreau, La Tribune

(Photo La Tribune, archives)

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Faire de la bière. L’idée est souvent lancée comme ça, entre amis, en prenant un verre ou deux. 

(Photo La Tribune, Maxime Picard)

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Bien souvent, ce n’est que des paroles en l’air. D’autres fois, l’idée se concrétise. Et après une première cuvée dans le sous-sol de la maison ou le garage d’un ami, le projet peut parfois rapidement passer au prochain niveau: pourquoi ne pas démarrer une microbrasserie?

Avec le confinement, le couvre-feu et l’interdiction de voyager, la période de la pandémie a été faste dans le monde de la bière au Québec.

«Dans notre cas, on est tous des amis d’enfance ou des membres de la famille et on était passionnés par la bière de microbrasserie déjà à la base, raconte Étienne Pélissier de la microbrasserie Hop Station à Coaticook. On a ouvert une salle de spectacle et un pub en 2019 et après avoir rencontré quelques embûches, on a obtenu notre permis à l’été 2020, en pleine COVID. Vendre sur les tablettes, ce ne serait pas suffisant. On doit se diversifier.»

Chez Hop Station, les cuves se retrouvent directement sur place, à la Vieille Gare, et près de 475 hectolitres de bière sont brassées chaque année. (Photo La Tribune, Maxime Picard)

Chez Hop Station, les cuves se retrouvent directement sur place, à la Vieille Gare, et près de 475 hectolitres de bière sont brassées chaque année. (Photo La Tribune, Maxime Picard)

À une cinquantaine de kilomètres de là, la Microbrasserie Canton Brasse est née juste avant, en 2019. 

«La COVID a aidé au départ, confirme Nicolas Tanguay Bernier, copropriétaire de Canton Brasse à Orford. Tout allait bien. On croyait pouvoir se fier aux chiffres de vente sur les tablettes lors de nos premières années, mais ils étaient faussés et maintenant, la situation est plus difficile. Ceux qui ont investi pas mal de 2019 à 2022 pour produire davantage et encanner encore plus doivent manger leurs bas aujourd’hui. Nous, on a dû restructurer de façon intense et ce n’est pas terminé.»

Le délai pour les commandes de canettes sérigraphiées chez Hart Print peut atteindre les huit semaines parfois. (Photo La Tribune, Maxime Picard)

Le délai pour les commandes de canettes sérigraphiées chez Hart Print peut atteindre les huit semaines parfois. (Photo La Tribune, Maxime Picard)

(Photo Le Droit, archives)

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Les micros poussent

«Il y a eu des années florissantes dans le monde des micros, fait remarquer Nicolas Ratthé, président de l’Association des détaillants de bières spécialisées du Québec. Même si de nouvelles microbrasseries naissaient, tout le monde avait sa part de marché. Durant la pandémie, la consommation a explosé. Il y avait un certain stress, du télétravail, des téléconférences entre amis avec un petit verre. Ils ont été plusieurs à tenter leur chance en se rendant compte que l’alcool, il s’en vendait pas mal. Puis tout à coup, la planète s’est remise à tourner, les gens ont recommencé à sortir, à voyager et les habitudes ont changé. Quelques nouveaux entrepreneurs dans le monde de la bière ont frappé un mur.»

En effet, la tarte a grossi rapidement, mais ils sont de plus en plus nombreux à prendre une pointe, qui rapetisse peu à peu.

«On ne s’attendait pas à ce boom aussi intense, surtout en région quand on a ouvert la micro en 2020. En Estrie, le nombre de micros passait de 20 à 33 en quelques mois!»
Étienne Pélissier, Hop Station

Nicolas Ratthé occupe la présidence de l’Association des détaillants de bières spécialisées du Québec en plus d’être actionnaire au Vent du Nord. (Photo La Tribune, Jean Roy)

Nicolas Ratthé occupe la présidence de l’Association des détaillants de bières spécialisées du Québec en plus d’être actionnaire au Vent du Nord. (Photo La Tribune, Jean Roy)

«Il y a 333 brasseries au Québec, précise Nicolas Ratthé, également propriétaire du Vent du Nord à Sherbrooke. Ça inclut les brew pubs, les microbrasseries et tous les autres types. Quand j’ai commencé dans le milieu il y a une quinzaine d’années, il y avait une cinquantaine de brasseries. Ça s’est multiplié. Est-ce que la population du Québec s’est multipliée? Non. Le comportement des consommateurs a même changé et les gens consomment moins.» 

(Photo La Tribune, Maxime Picard)

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Le mirage de la pandémie

Le résultat: certaines microbrasseries ont de la difficulté à joindre les deux bouts. Comme plusieurs détaillants. Et même des producteurs de houblons. Le Houblon des Jarrets Noirs en Beauce a fermé ses portes au début de l’été en raison du marché en mauvaise santé. 

«La pandémie est devenue un grand mirage pour les entrepreneurs, avance de son côté Éric Noël, copropriétaire de la Microbrasserie la Memphré. Plusieurs souhaitaient profiter de la manne en achetant des dépanneurs à bières ou en créant de nouvelles brasseries. Les gens consomment moins, surtout les jeunes dans la vingtaine. Les ventes mondiales de bière ont baissé et ici au Québec, des microbrasseries ont fermé. Je ne dis pas ça de gaieté de cœur.»

«Si on ne change pas notre modèle d’affaires, on sera voués à s’éteindre», admet pour sa part Nicolas Tanguay Bernier, brasseur et copropriétaire de Canton Brasse à Orford.

Lui aussi, c’est en regardant bouillir le moût de sa dernière brasse avec son père qu’il s’est imaginé fonder sa propre microbrasserie en 2019 en compagnie de Claude Tanguay.

«Il n’y avait pas de pubs à Orford. Pas de lieux de rassemblement. J’ai toujours aimé l’ambiance ici. C’était ma montagne de ski. Je me sens en vacances à Orford. Je savais que c’était un gros défi. C’est très saisonnier ici. Il n’y avait pas de compétition, même s’il y a deux microbrasseries à Magog et quelques pubs. C’est sur les tablettes que la compétition est bien présente.»

Même dans le monde du houblon, les temps sont difficiles. L’explosion des coûts de production et le contexte économique difficile dans le monde des microbrasseries ont convaincu l’entreprise Houblon des Jarrets Noirs à cesser ses activités au début de l’été. 

Même dans le monde du houblon, les temps sont difficiles. L’explosion des coûts de production et le contexte économique difficile dans le monde des microbrasseries ont convaincu l’entreprise Houblon des Jarrets Noirs à cesser ses activités au début de l’été. 

«On dit que le marché de la bière de microbrasseries est saturé, autant chez les détaillants que chez les microbrasseries, rappelle Éric Curadeau, copropriétaire de la boutique Glou Glou située sur la rue Wellington Nord à Sherbrooke. Mais personnellement, je crois qu’il y aura toujours de la place pour de la bonne bière.»

La preuve: deux microbrasseries tirent bien leur épingle du jeu malgré leur proximité à Coaticook.

«On se complète bien avec la Microbrasserie Coaticook, considère Étienne Pélissier de Hop Station. Le menu est différent, la vibe aussi. Les touristes aiment pouvoir visiter deux endroits différents durant leur séjour. Mais notre but aujourd’hui est de réussir à vivre de ça en retrouvant un peu plus nos canettes sur les tablettes. On ne fait pas nécessairement de profits, mais on s’assure d’un salaire! Nous on est plus dans la bière artisanale. On brasse 475 hectolitres par année, on pourrait se rendre à maximum 600.»

À quelques pas de la Hop Station, le brasseur Jonathan Gauthier de la Microbrasserie Coaticook multiplie les recettes pour offrir une variété intéressante à sa clientèle. La preuve que deux microbrasseries dans une même petite ville, c’est possible. (Photo La Tribune, Maxime Picard)

À quelques pas de la Hop Station, le brasseur Jonathan Gauthier de la Microbrasserie Coaticook multiplie les recettes pour offrir une variété intéressante à sa clientèle. La preuve que deux microbrasseries dans une même petite ville, c’est possible. (Photo La Tribune, Maxime Picard)

(Photo La Tribune, archives)

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Trouver la recette parfaite

«Les bons joueurs vont toujours se démarquer, soutient Nicolas Ratthé du Vent du Nord. Il faut être à la bonne place, être dynamique, s’impliquer dans la communauté. Personnellement, je n’ai jamais pensé démarrer une microbrasserie. La game est complètement différente. Aujourd’hui, ça prend du courage. Il faut que la stratégie soit parfaite.»

En effet, la pression est forte sous le bouchon.

«Je fais de l’anxiété de performance et j’ai un TDAH, ce n’était peut-être pas ma meilleure idée de partir une microbrasserie étant donné la situation actuelle», lance en riant Nicolas Tanguay Bernier, fier tout de même de pratiquer sa passion et d’en vivre.

Sur les tablettes du moins, le marché est clairement saturé, constate le brasseur.

«La personne qui voudra démarrer une microbrasserie aujourd’hui devra avoir les reins très solides, poursuit-il. Une sélection naturelle se fait déjà. Mais si l’idée est bonne, l’endroit est bien choisi et que le concept est original, avec un resto et un menu intéressant, il reste encore de la place au Québec.»

De l'actualité houblonnée en neuf capsules

La microbrasserie du Lion d’Or à Lennoxville a procédé à un grand changement, elle qui distribuait sa bière uniquement en bouteille jusqu’à tout récemment. «On a effectivement opté pour la canette depuis quelque temps!» confirme le brasseur Stanley Groves.

L’application Untappd constitue une plateforme bien pratique pour découvrir de nouvelles bières et se retrouver un peu mieux dans cette marée houblonnée. Elle permet aussi de partager les bières que vous découvrez.

L’application 1Bière2Coups est une plateforme de classification de bière fonctionnant avec l’intelligence artificielle et permettant de trouver la bière parfaite.

La Fédération québécoise des municipalités fait pression sur le gouvernement pour qu’il permette la vente de bières de microbrasserie locale dans les marchés publics.

La IPA perd de sa popularité chez les jeunes, qui se tournent vers la bière aux fruits, des bières sûres, des seltzer. La IPA constituait environ 70% de la production de bières de microbrasserie et maintenant, 40%.

Une malterie sherbrookoise, Innomalt, est bien populaire auprès des brasseurs. Innomalt possède aussi une usine à Bécancour et offre des malts du terroir.

Dernièrement, des microbrasseries ont acquis de plus petites microbrasseries. Comme Lagabière avec Trèfle Noir en Abitibi et OverHop à Saint-Jean. Dans le passé, les bières Unibroue ont été achetées par Sleeman et ensuite, par Sapporo.

Boréale a évité sa vente à un macrobrasseur: l’argent reste au Québec puisque c’est la FTQ qui possède maintenant la microbrasserie à fort volume.

La Halte des crinqués est née d’une amitié entre deux entrepreneurs, qui ont vu la pandémie leur jouer un tour. Le projet a été laissé sur la glace et est finalement né en 2023.

Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne

(Photo 123RF)

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