LE PROCÈS PATRICK PROVOST

FAUTE ACADÉMIQUE OU LIBERTÉ D'EXPRESSION?

LE PROCÈS
PATRICK PROVOST

FAUTE ACADÉMIQUE
OU LIBERTÉ D'EXPRESSION?

JEAN-FRANÇOIS CLICHE
jfcliche@lesoleil.com

«Est-ce que c’est anodin de manquer de rigueur scientifique dans un contexte comme la COVID? Non. On ne peut pas pardonner ça. Pour moi, c’est grave. […] Ça n’aurait jamais été accepté dans une revue scientifique et c’est un manque de responsabilité de faire ça dans des communications qui visent les citoyens.»

Assise dans le siège des témoins et tailladée de questions par le procureur de la défense, la vice-rectrice aux ressources humaines de l’Université Laval, Lyne Bouchard, n’en a pas démordu: sa décision de suspendre le chercheur en microbiologie Patrick Provost à deux reprises était la bonne, a-t-elle maintenu lors du «procès» de M. Provost.

Lyne Bouchard, vice-rectrice aux ressources humaines à l’Université Laval. Photo Le Soleil, Caroline Grégoire

Lyne Bouchard, vice-rectrice aux ressources humaines à l’Université Laval. Photo Le Soleil, Caroline Grégoire

Celui-ci, s’il faut le rappeler, a été suspendu deux mois sans salaire en 2022, puis de nouveau quatre mois en 2023, pour ses prises de position publiques contre les vaccins à ARNm lors de la pandémie — positions souvent mal étayées et qui contredisaient des consensus scientifiques sur l’efficacité et la sécurité de ces vaccins. Son syndicat, le SPUL, a contesté ces sanctions et près d’une trentaine de journées d’audience ont eu lieu depuis la fin d’avril 2023, signe de l’importance accordée à ce dossier par les deux parties.

Il était toutefois interdit d’en révéler le contenu à cause d’une «ordonnance d’exclusion des témoins», qui vise à éviter que les témoins aient connaissance des autres témoignages, ce qui pourrait influencer leurs versions des faits.

Mais le dernier témoignage s’est terminé hier, si bien que l’ordonnance a été levée. Le Soleil a assisté à toutes les audiences et peut désormais en résumer les échanges — ce que nous ferons sur trois jours.

Voici d’abord une ligne du temps qui reprend la séquence des principaux faits.

Était-ce une «activité de recherche»?

À plusieurs reprises lors de son témoignage, au printemps 2023, M. Provost s’est défendu d’avoir commis une faute académique parce qu’il ne considérait pas ses interventions publiques comme des activités de recherche, mais plutôt comme des gestes citoyens.

Patrick Provost. (Photo archives/Erick Labbé)

Patrick Provost. (Photo archives/Erick Labbé)

«Je me suis exprimé à titre personnel et avec mon bagage en recherche qui remonte à environ 35 ans, a-t-il indiqué lors de l’audience du 6 juin 2023, au sujet de l’entrevue à CHOI-FM qui lui a valu sa deuxième suspension. […] Je suis un professeur socialement engagé et je ressens le devoir de m’exprimer publiquement quand j’ai des préoccupations que j’estime être importantes pour le grand public.»

Deux témoins appelés à la barre par le syndicat à titre d’«experts», soit la juriste de l’Université du Québec à Montréal Lucie Lamarche et le bioéthicien de l'Université de Montréal Bryn Williams-Jones, ont également estimé que les déclarations reprochées à M. Provost ne constituaient pas des activités de recherche, mais relevaient de la liberté d’expression ou de la vulgarisation.

L’Université Laval estime de son côté que M. Provost a clairement agi à titre de chercheur. Dans son courriel de la fin de 2021, qui a mené à la première sanction, «il parle de science et de liberté académique, a rappelé Mme Bouchard lors de son témoignage, en décembre dernier. Il écrit ce courriel à titre de professeur d’université, il dit s’être associé à des collègues pour faire une “analyse rigoureuse appuyée par la littérature scientifique“, il a communiqué ses résultats lors d’une conférence de presse. […] À plusieurs reprises, le langage est celui d’un prof d’université. […] Et à la fin [de la conférence de Réinfo-COVID], on présente Patrick Provost comme professeur titulaire à la Faculté de médecine, chercheur indépendant, biochimiste de formation, […] donc pour moi, ça a été fait dans le cadre de son travail de professeur d’université.»

L’arbitre Rosaire Houde, qui préside la procédure, devra trancher sur cette question.

Quelles règles s’appliquent?

De même, il devra également décider si la Politique sur la conduite responsable en recherche s’appliquait au cas de M. Provost. C’est parce qu’il a enfreint trois «principes» de cette politique que M. Provost a été suspendu. La vice-rectrice Lyne Bouchard considérait comme une évidence que cette politique s’appliquait, mais ça n’allait pas de soi pour tout le monde.

Source: ULaval

Source: ULaval

Dans son rapport, le comité d’experts qui s’est penché sur le cas de M. Provost a conclu que oui, mais pas avant d’avoir consacré une quinzaine de pages à la question.

«Est-ce que je comprends bien que vous, dans votre tête, quand vous avez donné le mandat [au comité], la politique s’appliquait? Est-ce qu’ils auraient pu arriver avec la réponse: non, la politique ne s’applique pas?», a demandé l’arbitre Houde à Mme Bouchard, qui a répondu que «non, ils pouvaient conclure qu’il n’y a pas eu d’infraction, mais on avait déjà statué que la Politique s’appliquait.»

«C’est important, ça», a alors noté Me Houde.

Contradiction

Fait à noter, le procureur du SPUL Me Bruno Néron a fait ressortir ce qui a tout l’air d’être une contradiction dans la position de Mme Bouchard. Alors qu’elle avait qualifié de «graves» les agissements de M. Provost et dit qu’elle sentait le besoin d’envoyer un «signal fort» par des sanctions sévères, elle a aussi admis qu’elle n’aurait pas suspendu M. Provost si un de ses collègue de la Faculté de médecine n’avait pas porté plainte contre lui — et ce, même si elle avait le pouvoir d’agir d’elle-même en tant que vice-rectrice.

«Êtes-vous en train de dire au tribunal que s’il n’y avait pas eu de plainte, le vice-rectorat aux ressources humaines n’aurait jamais traité cette situation-là?», lui a demandé Me Néron.

«Exact», a-t-elle répondu.

Dans la même veine, il est également apparu que l’Université a laissé traîner une autre plainte très similaire à celle contre M. Provost pendant plus d’un mois et de demi avant de la traiter. Il s’agissait d’une plainte contre Nicolas Derome, du département de biologie, qui a lui aussi été suspendu huit semaines sans salaire à cause d’une vidéo anti-vaccin. Le vice-rectorat à la recherche l’avait reçue le 27 novembre, mais ne l’a transmise aux ressources humaines qu’en janvier.

(Archives Le Soleil/Erick labbé)

(Archives Le Soleil/Erick labbé)

«Alors, si l’action du professeur Provost était si épouvantable que ça, il me semble que l’Université serait intervenue beaucoup plus rapidement dans une plainte du même type», a plaidé Me Néron.

Contre des consensus solides

Rappelons que, dans les interventions qui lui sont reprochées, M. Provost a plusieurs fois contredit l’avis général de la communauté scientifique et médicale, qui concluait clairement dès la fin 2021 que les vaccins comportaient plus d’avantages que d’inconvénients pour les 5-11 ans (qui étaient l’objet de ses communications de décembre 2021 ayant mené à sa première suspension). La plupart des instances de santé publique dans le monde, de même qu’un grand nombre d’organisations scientifiques comme la Société canadienne de pédiatrie, les recommandaient déjà à l’époque, sur la base d’expertises plus pertinentes que celle de M. Provost, qui est un spécialiste de l’ARN et non des vaccins, et de données plus complètes que celles qu’il a présentées.

Son cas n’en soulève pas moins des questions difficiles sur les limites à imposer (ou non) à la liberté académique. Pour faire progresser les connaissances, les chercheurs ont besoin de pouvoir soulever toutes les hypothèses, même farfelues, sans crainte de représailles. Faute de quoi l’avancement des connaissances risque d’être freiné parce que des chercheurs hésiteront à explorer certaines avenues. Il n’est pas impossible que les peines sévères imposées à M. Provost puissent avoir un effet d’auto-censure, et c’est ce qui a incité le SPUL à contester les sanctions.

Une manifestation d'appui à Patrick Provost a eu lieu en marge de l'audience du 2 mai dernier à son procès, devant le pavillon Louis-Jacques Casault. (Photo Le Soleil/Jean-François Cliche)

Une manifestation d'appui à Patrick Provost a eu lieu en marge de l'audience du 2 mai dernier à son procès, devant le pavillon Louis-Jacques Casault. (Photo Le Soleil/Jean-François Cliche)

«Il ne revient pas à l’administration d’une université de trancher sur le fond [d’une question scientifique]. Il faut laisser la science décrédibiliser ces hypothèses-là, avait commenté le président du SPUL, le professeur de droit Louis-Philippe Lampron, après la première suspension de M. Provost. […] Pour nous, la liberté académique implique qu’on vive avec ses mauvais côtés, qui sont que des fois, il peut y avoir des propos faux ou farfelus qui sont tenus, mais cette liberté-là inclut le droit de se tromper. C’est extrêmement problématique que l’université se mêle de ça.»

EN BREF

Cavalier seul

L’Université Laval est la seule au Québec à avoir suspendu des professeurs — en plus de Patrick Provost, le chercheur du département de biologie Nicolas Derome a lui aussi été suspendu deux mois sans salaire — pour leurs sorties publiques contre les vaccins à ARN-messager. À l’Université de Sherbrooke, la professeure Karine Collette avait participé à la même conférence de presse de Réinfo-COVID que M. Provost en décembre 2021, mais l’UdeS me confirme qu’elle n’a jamais été sanctionnée pour cela, ni pendant le reste de la pandémie. À l’Université du Québec à Trois-Rivières, le prof de chiropratique Christian Linard milite contre les vaccins depuis des années mais, en date de 2019, n’avait jamais été suspendu ni réprimandé. Cependant, ni M. Linard, ni l’UQTR n’ont répondu aux questions du Soleil sur des mesures disciplinaires qui auraient pu être prises pendant la pandémie.

Me Brassard nommée juge

Hormis les nombreux témoins qui ont été appelés à la barre, une des raisons qui explique la durée du procès de M. Provost, qui s’étire depuis plus d’un an, est que la procureure de l’Université Laval, Me Karine Brassard, a été nommée juge à la Cour du Québec en novembre dernier, au beau milieu des procédures. Cela a forcé le report de plusieurs audiences déjà prévues, le temps que l’UL se trouve un nouveau procureur. C’est l’avocat Me Normand Drolet, qui travaille au même cabinet (Cain Lamarre) où Me Brassard était associée, qui a pris le relai. Notons que la nomination de Me Brassard a soulevé les pires suspicions de la part de M. Provost, qui l’a décrite sur sa page Facebook comme une possible «récompense» pour les «attaques» qu’elle lui a fait subir lors de son témoignage.

Précision: une version antérieure de ce texte a été modifiée afin de corriger l'affiliation de Lucie Lamarche, qui est professeure de droit à l'UQAM et non à l'UdeM comme il était initialement indiqué. Mes excuses.

Journaliste
JEAN-FRANÇOIS CLICHE

Design graphique
NATHALIE FORTIER