LE SPECTACLE DE LA DRAVE SUR LE LAC DES NATIONS

Des draveurs debout sur des billots flottent sur une rivière à Woburn. Ils tiennent dans leurs mains un peavy qui sert à remuer les billots de bois. À l'avant, un des leurs tient une gaffe en position horizontale, en 1900. (Photo Fonds J. E. Simard, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Des draveurs debout sur des billots flottent sur une rivière à Woburn. Ils tiennent dans leurs mains un peavy qui sert à remuer les billots de bois. À l'avant, un des leurs tient une gaffe en position horizontale, en 1900. (Photo Fonds J. E. Simard, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Mon grand-père me rappelait une époque où circulaient des billots de bois sur le lac des Nations; il y a réellement eu de la drave à Sherbrooke?

Benjamin

Cher Benjamin,

Imaginez la scène: une rivière en crue, des billots de bois qui glissent en cadence, et une industrie naissante qui s’appuie sur la force de la nature pour transformer les forêts en richesses manufacturières. C’est exactement le décor qu’offrait le lac des Nations dès l’arrivée des premiers colons, un spectacle inoubliable dont les échos résonnent encore dans la mémoire de votre famille.

On observe devant la Paton de gros billots de bois qui flottent sur la rivière Magog, en 1898. (Photo Fonds Ville de Sherbrooke, Musée d’histoire de Sherbrooke)

On observe devant la Paton de gros billots de bois qui flottent sur la rivière Magog, en 1898. (Photo Fonds Ville de Sherbrooke, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Au début du 19e siècle, la rivière Magog est le théâtre d’une véritable industrie propulsée par l’énergie que créent les barrages. Des moulins – allant de la scierie au moulin à farine – forment un véritable pôle économique, alimenté par le bois acheminé par flottaison.

À cette époque, le bois coupé en hiver se rassemble dans des étangs naturels, pour être libéré au printemps lors du dégel. Les billots s’élancent alors sur la rivière, portant avec eux le rêve industriel d’une région en plein essor.

À gauche, à l’avant-plan, des draveurs déplacent des billots de bois sur la rivière Magog, en 1885. (Photo Collection Musée d'histoire de Sherbrooke)

À gauche, à l’avant-plan, des draveurs déplacent des billots de bois sur la rivière Magog, en 1885. (Photo Collection Musée d'histoire de Sherbrooke)

La drave, c’est tout un art! Les billots, guidés par la force de l’eau, parcourent des kilomètres jusqu’à atteindre les scieries stratégiquement installées sur les rives de la Magog. Grâce à des infrastructures ingénieuses – dont des glissoires permettant de transférer les billots sur des chariots à scier, les opérateurs peuvent transformer cette descente tumultueuse en une opération maîtrisée et lucrative. Le spectacle est à la fois spectaculaire et efficace: dès le printemps, alors que les eaux de la rivière se gonflent, toute une armada de billots entame sa course folle vers la scierie, annonçant une saison de travail intense et de retombées économiques notables.

Une soixantaine de bûcherons prennent la pose devant leur camp de bois rond, en 1900. (Photo Fonds Famille Joseph Lépine, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Une soixantaine de bûcherons prennent la pose devant leur camp de bois rond, en 1900. (Photo Fonds Famille Joseph Lépine, Musée d’histoire de Sherbrooke)

De Sherbrooke aux villages voisins comme Bromptonville, au nord, l’activité de la drave est le résultat de l’ingéniosité des entrepreneurs qui, en tirant parti des ressources naturelles et de la force hydraulique, transforment les paysages en centres industriels florissants. Cette période, marquée par l’innovation et le dynamisme, offre aussi à la population des emplois saisonniers. Les bûcherons de l’hiver deviennent les draveurs une fois le printemps revenu.

Sur la rivière Magog, des billots flottent, en 1905. (Photo Fonds Clovis Roy, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Sur la rivière Magog, des billots flottent, en 1905. (Photo Fonds Clovis Roy, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Au fil des décennies, l’essor de l’énergie hydroélectrique avec l’installation de nouveaux barrages modifient peu à peu le paysage industriel. Depuis le milieu du 19e siècle, les matériaux forestiers arrivent plutôt par la voie ferroviaire. Déjà, dans les années 1910, la drave n’est plus possible, entravée par les nouveaux barrages et l’extension du réseau électrique.

Alors oui, la drave a bel et bien existé dans les Cantons-de-l’Est et a marqué l’histoire industrielle de la région. Le souvenir des billots de bois sur le lac des Nations témoigne d’un temps où la puissance des eaux de la Magog était mise au service d’une ambition pratique et économique, créant un savoir-faire où nature et homme font la paire! 

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