LE VILLAGE LAUZON DE SHERBROOKE, LE PARADIS PERDU DU TAUDIS

Bonjour,
Vos articles sont très intéressants. Que savez-vous du village de Lauzon à l’est de Sherbrooke? Nous sommes originaires de Sherbrooke et souhaiterions en apprendre plus sur le sujet.
Robert
Cher Robert,
Voilà un «village» que bien peu de gens connaissent… Il n’est sur aucune carte, sur aucun plan. Il n’est pas l’un de ces hameaux, villages ou municipalités qui ont vécu leur vie avant d’être absorbés dans Sherbrooke… Non : c’est au cœur même de la ville, et à l’initiative d’un seul homme, qu’est né ce «village». Il n’a jamais été officiellement baptisé, mais son nom arrive sur plusieurs lèvres entre les années 1940 et 1960.
Le «village Lauzon» était situé à l’angle de la rue King Est, entre la 14e et la 15e Avenue Nord, à l’époque où ces rues avaient une portion nord. Le «village» tire ni plus ni moins son nom d’un homme, Trefflé Lauzon, le propriétaire des bâtiments.

Le «maire» Trefflé Lauzon. (Photo Sherbrooke Daily Record, 8 mai 1964)
Le «maire» Trefflé Lauzon. (Photo Sherbrooke Daily Record, 8 mai 1964)
Lauzon est établi dans l’est de la ville, sur la rue Belmont (une portion de l’actuelle rue King Est) au moins depuis les années 1920. Pendant les décennies qui suivent, en marge de son activité de blanchisseur, il se porte régulièrement acquéreur de terrains dans l’est de la ville.
Au fur et à mesure du temps se forme une petite communauté que Lauzon désigne comme «son village». Peut-on alors parler d’un village dans une ville? Les quelque 60 locataires qui s’y trouvent parlent de leur propriétaire comme du «maire Lauzon». Le «village» se dérobe aux regards des passants de la rue King par une rangée d’arbres.


Le «village Lauzon» en 1964, on y lit clairement la description «slum» (taudis) pour décrire l’endroit. (Photo Sherbrooke Daily Record, 23 juin 1964)
Le «village Lauzon» en 1964, on y lit clairement la description «slum» (taudis) pour décrire l’endroit. (Photo Sherbrooke Daily Record, 23 juin 1964)
Régulièrement la proie des flammes et des problèmes sociaux, le petit «village» commence à se frayer un chemin dans les pages des journaux locaux dans les années 1950.
On y décrit rien de moins qu’un «taudis», un ensemble de hangars, de cabanes, de garages et de remises converties en logements, traversé par deux voies, la ruelle Ramsay (Remsen, sur le plan de 1953) et la ruelle Fortin.
Les loyers se situaient entre 10 et 35$ par mois, soit environ entre 100 et 340$ actuels. Lauzon décrit des foyers pourvus de l’eau courante et de chauffage au bois ou au propane.
Le «maire», résidant lui-même sur place, ne nie pas la saleté et le délabrement qui minent son «village». Il se défend d’en être le responsable, confiant aux colonnes du Sherbrooke Daily Record : «pigs will be pigs, even in the nicest home» (“les porcs restent des porcs, même dans les plus belles maisons”). Il assure que les gens s’y plaisent.
L’avenir du village s’obscurcit au milieu des années 1960. En 1964, un incendie survenu dans une habitation de la ruelle Ramsay emporte une personne de 75 ans et sonne le glas de l’entièreté du «village».
Faisant suite à plusieurs recommandations, la Ville décide peu après de raser les habitations, considérées comme trop dangereuses. Le Sherbrooke Daily Record évoque la fin d’un «règne de 30 ans» sur un «petit empire du taudis» (little slum empire).
La trentaine d’habitations insalubres du «village Lauzon» sont détruites à l’été 1965. Le chantier dure près d’un mois et demi. Ultime signe de son étroite association avec son «village», Trefflé Lauzon participe personnellement à la démolition, non sans avoir protesté dans un premier temps.


Esquisse de l’école secondaire Le Ber, qui occupe aujourd’hui une partie des anciens terrains du «village Lauzon». (Photo La Tribune, 13 septembre 1963, p. 3)
Esquisse de l’école secondaire Le Ber, qui occupe aujourd’hui une partie des anciens terrains du «village Lauzon». (Photo La Tribune, 13 septembre 1963, p. 3)
À la fin des années 1960, les terrains restants sont rachetés pour l’agrandissement de l’école Le Ber. Trefflé Lauzon, premier et dernier maire de ce village oublié, réside aux abords de la 15e Avenue jusqu’à son décès, en 1973.
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Conception graphique, Cynthia Beaulne
