L'Estrie a-t-elle déjà accueilli des baleines?
Par M. Hist - Musée d'histoire de Sherbrooke

Est-ce qu’il y a des baleines dans la rivière Saint-François? Ou est-ce qu’il y en a déjà eu?
Laurie G.
Chère Laurie,
C’est une question de taille que vous nous posez là! En fait, la question peut paraitre simpliste, voire farfelue. Et bien non! Elle nous permet à la fois de remonter dans le temps bien avant la colonisation de la région et de rectifier certains récits de notre histoire plus récente.
Sur le premier élément de votre question, nous pouvons répondre à la négative très facilement. La rivière Saint-François, connue à l’époque des Premières Nations pour son saumon, ne peut malheureusement pas accueillir de baleines. La profondeur de la rivière, les barrages et l’eau douce sont tous des facteurs qui rendent impossible la présence des grands cétacés.
Même avec le large réseau hydrographique de la région, la possibilité d’y voir des baleines est assurément nulle! (Photo Fonds Andrée Désilets, Musée d’histoire de Sherbrooke)
Même avec le large réseau hydrographique de la région, la possibilité d’y voir des baleines est assurément nulle! (Photo Fonds Andrée Désilets, Musée d’histoire de Sherbrooke)
Alors vous me diriez qu’historiquement, c’était peut-être possible? La mer de Champlain n’a-t-elle pas couvert une partie du Québec? Cette hypothèse a été avancée deux fois dans l’histoire régionale après la découverte d’ossements… de baleines!
D’abord, en 1951, un certain Victor Paré, de Cookshire, fait la découverte d’un os d’environ 14 pieds de long, 14 pouces de largeur et 24 pouces de circonférence. L’os pèse plus de 200 livres! Il s’agit bien d’une mâchoire inférieure d’une baleine de taille moyenne! Vous imaginez une baleine nageant dans la profondeur d’à peine quelques mètres de la rivière Eaton? Sans surprise, l’ossement n’est pas arrivé là de façon naturelle. Le mammifère a plutôt été transporté vers Cookshire par une entreprise de produits pharmaceutiques locale qui utilisait cette carcasse pour en extraire les huiles.

Plus récemment, en 1980, une vertèbre de baleine est découverte, cette fois à Sherbrooke, près de la rue Wilson. Décidément!
Un titre accrocheur sur la une de La Tribune du 21 juillet 1980. (Photo La Tribune, 1980)
Un titre accrocheur sur la une de La Tribune du 21 juillet 1980. (Photo La Tribune, 1980)
Alors conservateur du musée du Séminaire, Jean-Paul Mercier explique la présence de cet élément en faisant référence, vraisemblablement à tort, à un affluent de la rivière Magog qui aurait coulé dans le secteur de la rue Wilson et de l’axe des Quatre-Pins il y a plus de 10 000 ans! M. Mercier souhaite alors des tests au carbone 14 pour valider l’âge de l’ossement. Étant donné que ces analyses n’ont jamais lieu, on ne peut valider cette spéculation… et l’ossement tombe ensuite dans l’oubli.
Prenons donc quelques instants, avec un volet un peu plus scientifique, pour évaluer la théorie de la mer de Champlain dans la région. L’escarpement rocheux que l’on peut voir à la halte des Pionniers, aux pieds de la Cathédrale Saint-Michel ou même le long du boulevard des Grandes-Fourches nous rappelle bien les temps jadis de la glaciation.
Les géomorphologues ont toutefois démontré qu’au mieux la rivière Saint-François aurait été un estuaire éphémère de cette mer.
Cet estuaire était composé d’eau douce dans notre région, car l’eau salée n’a jamais dépassé la région de Richmond puisqu’aucun fossile marin n’a été retrouvé dans la vallée de la Saint-François en amont de cette région.
Une scène impossible à voir le long de la rivière Eaton! Ce dessin datant de 1901 est d’abord inséré dans un journal à Montréal avant d’être publié dans La Tribune du 15 octobre 1955. (Photo La Tribune, 1955)
Une scène impossible à voir le long de la rivière Eaton! Ce dessin datant de 1901 est d’abord inséré dans un journal à Montréal avant d’être publié dans La Tribune du 15 octobre 1955. (Photo La Tribune, 1955)
Alors ma chère Laurie, vous voyez qu’on peut donner une réponse complexe à une question qui semble pourtant très simple. Aujourd’hui, il n’y a assurément pas de baleines dans nos rivières régionales. À l’époque des croisières sur la Saint-François (Un voyage prisé en bateau à vapeur sur la Saint-François), ou plusieurs milliers d’années avant, notre ville ne concurrence pas avec Tadoussac. Le Québec a déjà sa capitale de la baleine, et «c’est assez» (cétacé), non?
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Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne