L'HISTOIRE DU CAMP DE LA DEUXIÈME GUERRE À SHERBROOKE

Cher M. Hist,
J’ai entendu dire que durant la Deuxième Guerre mondiale, il y avait une prison pour les gens de la communauté juive à Sherbrooke, est-ce vrai?
Cher lecteur,
Il s’agit là d’une question posée de manière assez récurrente au Mhist! Ainsi formulée, sa réponse simple pourrait être: non. En réalité, tout est dans les nuances et les distinctions sont importantes. Cette sombre histoire mérite d’être éclaircie.
Durant la Deuxième Guerre mondiale, il y a bien eu un camp, à Sherbrooke, pour accueillir les «ennemis étrangers». Le camp no42 ou camp «N», aussi appelé camp Newington, s’inscrit dans un mouvement de la Grande-Bretagne pour isoler les gens qui pouvaient être soupçonnés d’espionnage, principalement de provenance des pays ennemis. Dans ce cas-ci, on parle de l’Allemagne.
Au Québec, une dizaine de camps sont aménagés à l’Île-aux-Noix, Farnham, Valcartier, Hull, Île-Sainte-Hélène, Trois-Rivières et Sherbrooke, notamment. L’idée est d’établir ces camps dans des régions où il n’existe pas ou peu de communautés de la même origine. Ainsi, au Québec, on nous a «demandé» d’accueillir les ressortissants d’origine allemande puisqu’on en avait peu sur le territoire. Les Italiens se retrouveront dans les Prairies principalement, les Japonais dans les provinces maritimes.

On aperçoit la rue Newington et le chemin de fer Québec Central. Le secteur est notamment occupé par l’actuelle prison Talbot. (Plan d’assurances de 1953)
On aperçoit la rue Newington et le chemin de fer Québec Central. Le secteur est notamment occupé par l’actuelle prison Talbot. (Plan d’assurances de 1953)
Permettez-moi d’aller un peu dans la terminologie. Dans la conscience collective, il y a parfois confusion dans les termes camp d’«internement», de «concentration» et d’«extermination». La distinction est toutefois bien importante. À Sherbrooke, comme les autres camps établis au Canada durant cette période, il s’agit de camps d’internement et non de camps de concentration comme il y en avait en Europe: Newington est aménagé dans l’optique d’isoler une communauté.
Revenons sur le terrain, l’Armée canadienne achète, dès 1936, l’ancien centre de tri de la compagnie de chemin de fer Québec Central, à l’angle des rues Talbot et Bowen, dans l’Est de la ville. C’est ce terrain, déjà appelé Newington, qui sera transformé pour recevoir ces ressortissants étrangers entre 1940 et 1946.
Le lieu est, bien sûr, mal adapté: on a tenté d’aménager les locaux déjà existants, mais le résultat, surtout au début, est médiocre. Les conditions de vie y sont déplorables. Le nombre de personnes accueillies est de plusieurs fois supérieur à celui attendu. On manque de place et de matériel. Les premiers mois, les malades ne peuvent être isolés des personnes saines.
Des efforts sont faits «rapidement» pour améliorer les conditions, on y construit également des ateliers pour travailler le bois et réparer les chaussures. On y aménage aussi une bibliothèque et des salles de classe pour y offrir, notamment, des cours de langues et de mathématiques. Étrange? Pas vraiment. En effet, dans la première vague d'internement (1940-1942), le camp accueille un grand nombre d’intellectuels allemands qui se trouvaient en Angleterre pour poursuivre des études supérieures ou qui avaient terminé leur formation et décidé de ne pas retourner dans leur pays d’origine, ne s’y sentant plus en sécurité.

J’en reviens donc précisément à votre question sur la communauté juive. Précisons encore, les prisonniers de Newington, bien qu’à très forte majorité de religion juive, n’y sont pas parce qu’ils sont juifs, mais parce qu’ils sont allemands. En résumé, les familles juives vivants un climat hostile en Allemagne ont envoyé leur enfant étudier en Angleterre… c’est de cet endroit qu’ils sont perçus, à la suite de la déclaration de guerre de l’Angleterre envers l’Allemagne, comme de potentiels ennemis allemands et seront envoyés dans les camps canadiens.

Les gardiens du camp Newington. (Photo, Collection Musée d’histoire de Sherbrooke)
Les gardiens du camp Newington. (Photo, Collection Musée d’histoire de Sherbrooke)
Cette situation perdure jusqu’en 1942 où ce premier lot de détenus laisse place à des marins allemands faits prisonniers par les Britanniques. Le camp ferme définitivement ses portes en 1946.
Enfin, ce côté peu reluisant demeure une courte période de notre histoire. Le lieu disparaît tranquillement et on y aménage, quelques décennies plus tard, la prison Talbot, sensiblement au même endroit.
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Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne