L'HISTOIRE FAIT SON MARCHÉ RUE PROSPECT
Par M. Hist - Musée d'histoire de Sherbrooke

On m’a dit que l’actuel Marché Prospect est implanté dans le Vieux-Nord de Sherbrooke depuis 1920. Est-ce que ce marché serait le plus vieux des marchés toujours en activité à Sherbrooke?
Mario
Cher Mario,
Le commerce que vous évoquez tient une place particulièrement intéressante dans l’histoire du quartier. Prenez donc votre panier et suivez-nous, l’histoire s’en va faire son marché!
Imaginez-vous dans les rues animées de Sherbrooke au début des années 1910. Les épiceries de quartier (si c’est ce que vous entendez par «marché») font partie du décor quotidien. Ils sont des lieux de vie et d'échanges où l'on achète son beurre, ses œufs et sa farine Five Roses tout en partageant les dernières nouvelles avec les voisins. Le centre-ville compte plusieurs petites épiceries, comme l'épicerie Bernard & Co. sur la rue Marquette ou celle de Nérée Lacroix, située sur la rue King.

Au nord de la ville, le coin des rues Prospect-Victoria demeure un emplacement de choix pour les épiciers. Au début des années 1910, c’est le magasin Edwards & Saunders qui s’y trouve. Il vend fruits, légumes, provisions et ustensiles de cuisine variés. Peu de temps après, il fait place à l’épicerie Farr and Lothrop. Vers la fin de la même décennie, A. Giovetti déménage à son tour son épicerie depuis la rue King jusqu’à cette adresse, marquant ainsi une nouvelle étape dans l'histoire de son commerce.
Dans les années 1920, l'épicerie se transforme en véritable magasin général, où A. Giovetti vend non seulement des produits alimentaires, mais également des billets de tramway. Il tient également un stand au marché public de Sherbrooke, où il propose du fromage, du sirop d'érable, des œufs frais et du beurre.
L’épicerie de A. Giovetti, désignée comme la «Prospect Grocery» en 1924, est déjà un magasin pourvu d’un inventaire varié, de la farine de blé aux ampoules électriques, en passant par les fruits et les légumes. (Photo Sherbrooke Daily Record, 3 juin 1924)
L’épicerie de A. Giovetti, désignée comme la «Prospect Grocery» en 1924, est déjà un magasin pourvu d’un inventaire varié, de la farine de blé aux ampoules électriques, en passant par les fruits et les légumes. (Photo Sherbrooke Daily Record, 3 juin 1924)
Vers 1930, c’est au tour de E. S. Vallée de reprendre le commerce. Celui-ci deviendra plus tard le «Marché d'alimentation Vallée» et il est peut-être plus présent, pour ne pas dire plus frais, à la mémoire des résidents du quartier, puisqu’il traverse plusieurs décennies.
Publicité du Restaurant Vallée, complément du marché, lors de la Fête nationale de 1957. (Photo La Tribune, 22 juin 1957)
Publicité du Restaurant Vallée, complément du marché, lors de la Fête nationale de 1957. (Photo La Tribune, 22 juin 1957)
Les années 1950 marquent l'arrivée des grandes surfaces à Sherbrooke, comme le magasin Steinberg inauguré en 1955. Ces nouveaux acteurs bouleversent les habitudes des consommateurs, et modifient progressivement le paysage commercial de la ville.
Malgré cette concurrence, le Marché Vallée parvient à s'adapter. Il innove même en 1957 en ajoutant une salle à manger à son commerce, qu'on désigne alors comme le «Restaurant Vallée». L'histoire ne dit pas si l'on y servait de bons petits plats du terroir, mais on peut facilement l'imaginer!
Au tournant des années 1960, le magasin adopte la bannière IGA (Independent Grocers Alliance), s'inscrivant dans le mouvement d'expansion des épiceries de quartier sous des enseignes reconnues. Sherbrooke comptera à la même époque une dizaine de ces épiceries IGA dispersées à travers la ville.
Les temps changent encore au début des années 1990 lorsque le magasin Vallée arbore la bannière AXEP.
À cette époque, le Québec compte environ 300 établissements AXEP, principalement dans des petites localités de quelques centaines d'habitants. Aux dernières nouvelles, il ne reste plus qu'une quatre-vingtaine de ces «magasins de campagne» dispersés à travers la province.
Ainsi, du modeste comptoir d'œufs et de beurre au magasin AXEP d'aujourd'hui, cette épicerie de quartier a traversé plus d'un siècle d'évolution commerciale. J’en reviens à votre question: est-ce que le Marché Prospect est le plus vieux marché encore en activité? Comme lieu qui a gardé la même vocation, dans le Vieux-Nord, assurément. C'est toute l'histoire de la consommation locale et de la société sherbrookoise qui se révèle à travers cette aventure commerçante. Une preuve que, parfois, les petits commerces racontent de grandes histoires!
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Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne