MÉMOIRE ET PATRIMOINE
Mise en valeur et préservation du patrimoine bâti au Québec
Depuis quelques années au Québec, la question de l’identité anime bien des discussions. On parle beaucoup de la préservation de la langue française ou encore de la vitalité de la culture québécoise à l’heure du numérique.
À ces conversations, il faut certainement ajouter celles qui portent sur la préservation du patrimoine bâti.
On pense aux églises et aux presbytères, bien entendu, mais il y a aussi de belles grandes demeures, des anciens hôtels, des théâtres, des écoles, des couvents, des bâtiments agricoles qu’on trouve partout sur le territoire.
On peut penser en plus à tout le patrimoine industriel, des anciennes usines, des moulins, des pulperies.
Bref, il s’agit de toutes ces constructions qui font partie du paysage et qui donnent aux villes et aux villages un caractère unique qu’on souhaite préserver, notamment en trouvant les moyens de les restaurer et les habiter.
Depuis quelques années, on sent qu’il y a une prise de conscience concernant l’importance de ce patrimoine qu’on avait peut-être un peu oublié.
Le réveil a parfois été brutal car il se produit souvent lorsque la démolition d'un bâtiment ancien fait les grands titres, ce qui a l’effet d’une sonnette d’alarme.
Pour commencer la réflexion sur ces enjeux, rendons-nous d'abord à Thurso, en Petite Nation, pour discuter avec le maire Benoît Lauzon.
À titre de président de la Commission de la culture, des loisirs et de la vie communautaire à l’Union des municipalités du Québec, il s’intéresse depuis un bon moment aux questions qui touchent le patrimoine et il voit bien que la population interpelle de plus en plus les élus à ce sujet.
« Quand ça arrive, à un moment donné, c'est qu’il rendu est trop tard dans un dossier et on arrive à la démolition. C’est à ce moment-là que des questions se posent : est-ce qu’on est bien encadrés et est-ce qu’on est bien structurés pour sauver notre patrimoine?
Moi, je pense qu’on s’est améliorés dans les dernières années, mais avant cela, je ne suis pas certain que c'était la priorité, avec pour résultat qu’on avait des bâtiments inhabités. La désuétude s’est mise de la partie, c’est des bâtiments qui n’étaient pas chauffés.
On s’est retrouvés dans certaines municipalités avec des projets où c’était impossible de restaurer, ce qui fait en sorte qu’il y a certaines décisions qui ont été prises, je pense à l’encontre des valeurs de la population, mais qui devenaient inévitables.
Maintenant, il faut essayer d’éviter de se rendre là et s’assurer de protéger notre patrimoine, ce qui implique d’en prendre soin, immédiatement et pour toujours.»
Il y a une prise de conscience, c’est tant mieux, mais si vous vous promenez un partout au Québec, vous vous êtes sans doute rendu compte que dans plusieurs localités, avec des très petites populations, on trouve un nombre considérable de bâtiments anciens. Il est toujours étonnant d’arriver dans une localité de quelques centaines d’habitants et de découvrir tout ce qu’on y trouve.
Il y a partout sur le territoire plusieurs bâtiments qui ont été conçus et construits bien avant l’exode rural, la naissance des banlieues et dans un contexte économique qui n’est plus celui d’aujourd’hui. Tout ce patrimoine a évidemment a une immense valeur sur le plan national, mais on peut se demander si des petites villes et des villages ont le dos assez solide pour prendre soin de tout ça.
« Les grandes et les moyennes villes au Québec ont les ressources pour pouvoir y arriver, mais on est 1100 municipalités au Québec, plusieurs avec 1000 habitants ou moins. Il y en a énormément où il n'y a que deux ou trois employés municipaux qui n’ont pas toutes les connaissances nécessaires pour y arriver. C’est pour ça qu’on travaille beaucoup avec les MRC, où il y a les agents qui sont reconnus, expérimentés et qui sont capables de nous accompagner là-dedans. Donc, pour ce qui concerne le patrimoine il y a un rôle très important au Québec qui appartient aux MRC.
Toutefois, par exemple, dans la MRC Papineau dont Thurso fait partie, on compte 25 municipalités. On est l’une des MRC où il y a le plus de municipalités au Québec. On a une agente de développement culturel qui s’occupe du développement culturel, qui fait toute la gestion qui est en lien avec la culture sur le territoire et qui s'occupe en plus du patrimoine. Aujourd’hui, ça va prendre les sommes d’argent nécessaires pour se donner les moyens de nos ambitions. Ça prend des bras, ça prend des gens pour pouvoir y arriver. On a beau avoir une vision, une réflexion, et dire aux nouvelles, devant tout le monde, que c’est important de préserver le patrimoine, il va falloir en plus se demander comment on va y arriver. On ne peut pas y arriver seul. Il faut travailler ensemble et se donner le personnel qualifié pour être capable d’y parvenir. »
Audrey-Anne Béland est avocate spécialisée en droits municipaux et administratifs. Elle connaît très bien les lois et règlements qui concernent les municipalités, notamment celles qui encadrent la gestion du patrimoine. Elle est membre du Conseil d’administration d’Action patrimoine, un organisme qui rassemble plusieurs experts qui font de l’éducation, de la sensibilisation et de l’accompagnement auprès de la population et des élus.
De son point de vue, deux principaux obstacles lorsqu'on tente d'arriver à une vision concertée afin de mettre en place des solutions pérennes en matière de patrimoine.
« Les facteurs sont quand même multiples, mais il y en a principalement deux qui ressortent à travers les dossiers.
Le premier, c’est la méconnaissance des outils. C’est un domaine qui est pointu, pour lequel il y a des dispositions particulières, une loi qui a été mise en place. Souvent, il faut se remettre dans le contexte où les petites municipalités ont peu de moyens, peu d’effectifs, et ont déjà une panoplie de règlements, de législations à connaître et à appliquer. Donc là, on ajoute par-dessus tout ça la protection du patrimoine. Souvent, les élus et le personnel de direction des municipalités ne connaissent pas les outils qu’ils ont à leur disposition et, en plus, ne connaissent pas le patrimoine qu’il y a sur leur territoire. Comment protéger ce qu’on ne sait pas qu’on a? C’est dans ces cas qu’on intervient en urgence, à la dernière minute et que finalement, ça mène à des démolitions.
Il y a aussi un gros problème d’entretien des bâtiments. Donc souvent, les cas de démolition se produisent lorsque le bâtiment est dans un état de détérioration tel que ce qui semble logique, c’est d’autoriser la démolition, alors que la solution, c’est d’agir en amont. Donc si on est capables d’entretenir au fil des années, on évite de se rendre au point où ça tombe en ruine.
Pour bien connaître le patrimoine et l’entretenir, il faut faire intervenir des notions d’architecture. C’est un des problèmes qui est soulevé par le milieu municipal, c’est-à-dire, qu’on n’a pas ces ressources.
Effectivement, c’est vrai. Il y a, dans la loi, des conseils locaux du patrimoine, mais ils sont composés essentiellement de citoyens volontaires et de certains élus qui n’ont pas nécessairement une formation en patrimoine. Donc, encore une fois, on ne règle pas le problème. C’est pour ça qu’au moins, pour faire les inventaires, dans la mesure où les MRC vont souvent aller chercher une aide externe, on a une bonne documentation. Chaque immeuble est répertorié en fonction de ses critères patrimoniaux. Mais c’est effectivement un problème qui reste entier: l’absence de connaissances plus techniques, plus poussées au sein même des municipalités. »
On voit bien que les carences de ressources et d’expertise représentent des enjeux bien réels qui sont d’une importance capitale pour les pouvoirs de proximité. S'il y a sans doute du travail à faire de ce côté, il faut aussi connaître les outils législatifs qui sont à la disposition des administrations, notamment la citation et le classement d'édifices patrimoniaux.
« D’abord, il faut comprendre qu’il y a deux niveaux. Il y a le classement, qui est au niveau provincial par le ministère, et la citation, qui est faite par les municipalités ou les MRC.
Si on s’intéresse au niveau municipal, la citation c’est un règlement qui est adopté et qui vient indiquer qu’un bien a un aspect patrimonial et qui oblige à documenter les aspects patrimoniaux qu’on vise à protéger. Une fois qu’un bien est cité par règlement, il y a donc une protection additionnelle.
La loi sur le patrimoine culturel prévoit que tous les biens cités doivent être entretenus par leur propriétaire pour en assurer la préservation. Quand il y a une demande de permis qui est faite à l’égard de ces immeubles-là pour les modifier ou les réparer, il y a un avis préalable qui est envoyé à la municipalité et qu’elle doit étudier. Elle peut ensuite énumérer des critères en disant "on va autoriser que vous fassiez telle ou telle rénovation sur l’immeuble, à condition que vous respectiez ces critères pour préserver son caractère patrimonial". Ça permet d'assurer que les caractéristiques patrimoniales perdurent dans le temps.
Le classement, au niveau provincial, c’est essentiellement les mêmes effets mais c’est le ministère qui dicte les règles plutôt que la municipalité. Donc, généralement, ça touche des immeubles qui présentent un intérêt d’envergure nationale. C’est le même genre de protection. Quand on veut poser un geste à l’égard de l’immeuble, ça doit être autorisé. On ne peut pas démolir ces immeubles sans autorisation, mais en étant classé, ce n’est pas un simple règlement municipal qui assure la protection. Un règlement, ça peut toujours être abrogé par un conseil subséquent. Mais au niveau du ministère, une fois qu’on immeuble est classé, c’est plus compliqué si on veut retirer la protection. »
Après qu’un bâtiment ait été classé ou cité, la prochaine étape consiste à trouver l’usage qu’on peut en faire. C’est bien beau dire qu’on veut le préserver, qu’il ne faut absolument pas le démolir, mais qui va s’en occuper?
Pour répondre à ces questions, il faut faire preuve d’un peu d’imagination. Conserver et entretenir des bâtiments patrimoniaux, ça vient avec tout un cahier de charge. Là aussi, ça prend des moyens. La question s’est posée à Thurso avec un bâtiment historique qu’on a voulu préserver.
« Je vais parler d’un bâtiment qu’on a dans notre municipalité, qu’on pourrait prendre comme exemple. C’est le bâtiment situé au 1 rue Galipeau, qui a été dans le passé un hôtel, un centre de traite où les gens descendaient pour vendre leurs fourrures en bordure de la rivière des Outaouais où les bateaux passaient. C’est un immeuble qui a été à l’abandon pendant des années. Les plafonds étaient rendus croches, c’était épouvantable ce qui pouvait se passer là-dedans. À un moment donné, la municipalité s’est dit "comment on peut le restaurer, sinon le bâtiment va tomber par lui-même, il va tomber par terre!" Avec une population de 3000 habitants, investir dans un immeuble inhabité, ça implique énormément d’argent. Il fallait trouver une manière de l’occuper.
On a donc a travaillé avec la SÉPAQ. Il y avait le Parc national de plaisance, qui était à proximité, mais qui ne se rendait pas chez nous à l’époque. On a proposé un agrandissement du parc et on a offert que la SÉPAQ fasse l’acquisition du bâtiment, afin d’assurer les investissements nécessaires au fil des ans. Si nous n’avions pas fait ça, aujourd’hui, il serait démoli. C’est un bel exemple de partenariat qui a permis de le préserver. »
Cette histoire permet de voir que la préservation du patrimoine, si c’est une responsabilité politique, que ce soit au municipal, au provincial ou au fédéral, ça relève aussi de la participation des citoyens et de la société civile. Dans le cas du bâtiment de la rue Galipeau à Thurso, c'est la SÉPAQ, une société d’État, qui a pris part au projet, mais de multiples cas de figure sont possibles avec des organismes, des sociétés privées, mais aussi des citoyens
« Il y a plusieurs maisons patrimoniales qui, effectivement, sont occupées par des OBNL, par des maisons des jeunes, des organismes qui vont occuper l'immeuble parce que la municipalité ou un partenaire s’est porté acquéreur. Mais c’est certain que les municipalités ne peuvent pas acheter tout ce qui est patrimonial sur le territoire, donc ce n'est qu'une avenue parmi tant d’autres.
Il faut aussi dire que maintenant, dans la nouvelle législation, en ce qui a trait aux demandes de démolition, il y a une période qui est permise pour toute personne qui serait intéressée à acquérir l’immeuble pour conserver sa valeur patrimoniale. Donc, on prévoit comme un de droit de veto. Quelqu’un peut intervenir dans le processus en disant « moi, j’aurais quelque chose à faire avec ça pour préserver l’immeuble ou ses caractéristiques patrimoniales. ». À ce moment-là, la demande de démolition est suspendue le temps qu’on étudie cette possibilité d’acquisition.
(…)
Je pense que les belles histoires en patrimoine, c’est souvent ça, c’est la collectivité qui s’est mobilisée, ce sont les citoyens qui ont décidé de prendre le dossier en main, parce qu’il faut savoir que quand il y a des demandes, comme ça passe devant le conseil municipal, c’est public, les personnes intéressées peuvent faire valoir leur point de vue. Donc c’est la bonne place, c’est la bonne façon, pour les citoyens, de prendre part à la préservation du patrimoine. Chose certaine, la participation citoyenne est essentielle et n'est peut-être pas assez mise de l’avant. »
Les citoyens ne doivent donc certainement pas se gêner de prendre la parole, que ce soit pour témoigner de leurs inquiétudes ou manifester leur désir de proposer des projets. Pour Benoît Lauzon, cette participation citoyenne est nécessaire et il voit d'un très bon oeil le fait que les amants du patrimoine se mobilisent pour participer aux conseils municipaux afin d'interpeller les élus.
« Les amants du patrimoine, ils viennent régulièrement au conseil municipal poser des questions. On sait que, présentement, on vit une crise en habitation, on vit des crises un peu partout, ce qui fait en sorte qu’on veut bien développer nos municipalités.
Ces gens-là veulent s’assurer que les municipalités aient une vision pour protéger leur identité. Ce sont les personnes qui, après la séance du conseil municipal, restent avec nous pour pouvoir discuter. On a besoin que ces gens-là soient des partenaires avec nous. Donc souvent, outre les conversations à la période de question, on s’assure qu’ils restent pour parler de patrimoine, de nos municipalités ou d’un bâtiment spécifique. Je pense que les élus au Québec sont maintenant conscients de l'importance que revêt la protection de leurs milieux de vie et du patrimoine qui en fait partie. Moi, je ne suis même pas inquiet à ce sujet. »
Comment ça va chez vous ? est une production des Coops de l'information
en partenariat avec l'Union des municipalités du Québec
Conception, réalisation et animation : Simon Jodoin
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