Bonjour,
J'aimerais savoir quelle place occupe l’architecture moderne (bungalow, style brutaliste, etc.) dans le patrimoine immobilier à Sherbrooke. Merci à l’avance!
Jolyane A.
Chère Jolyane,
Vous soulevez une excellente question: l’architecture moderne a-t-elle vraiment sa place dans le patrimoine sherbrookois? On connaît Sherbrooke pour ses maisons d’inspiration américaine et britannique, qui ornent le Vieux-Nord et le centre-ville. Mais il serait injuste de limiter le portrait: la ville a aussi ses audaces modernes, parfois discrètes, parfois monumentales.
Commençons par une forme qui a marqué le paysage résidentiel du Québec au complet: le bungalow.
Ce modèle a trouvé ici un terrain fertile principalement après la Seconde Guerre mondiale. Baby-boom, banlieues en expansion, voitures dans chaque entrée: tout pousse à inventer une maison pratique, simple et adaptée à la vie de famille.
À Sherbrooke comme ailleurs, le bungalow devient la star des quartiers en développement dans les années 1950 et 1960. On le reconnaît à son plan rectangulaire ou en L, à son unique étage posé sur un sous-sol aménagé, à sa toiture à faible pente qui déborde largement, et à ses ouvertures disposées de façon asymétrique. Sa cheminée massive, son parement en brique ou en planches, et surtout son horizontalité marquée donnent cette allure basse et allongée qu’on lui associe encore aujourd’hui.
Le bungalow est le modèle de choix pour les nouveaux développements. Sur la rue Joliet, dans l’Ouest de la ville, plusieurs maisons du genre sont proposées par les Immeubles Gingues Inc., société dirigée par le député de Sherbrooke aux Communes, Maurice Gingues. (Photo La Tribune, 7 octobre 1955)
Le bungalow est le modèle de choix pour les nouveaux développements. Sur la rue Joliet, dans l’Ouest de la ville, plusieurs maisons du genre sont proposées par les Immeubles Gingues Inc., société dirigée par le député de Sherbrooke aux Communes, Maurice Gingues. (Photo La Tribune, 7 octobre 1955)
Pas de fioritures, pas de colonnades ni de flèches gothiques: le bungalow respire la fonctionnalité et l’esprit de consommation de son époque. C’est peut-être modeste, mais il incarne une révolution du quotidien et une grande partie du patrimoine urbain actuel de Sherbrooke.
Mais il n’y a pas que les petites maisons dans ce chapitre moderne. Certains bâtiments publics ont osé une modernité plus imposante.
Prenez par exemple l’ancien édifice de la Société Saint-Jean-Baptiste, rue Queen-Victoria. À la fin des années 1960, c’est là que l’architecte Albert Poulin installe son cabinet. Lui qu’on connaissait pour ses projets religieux, dont l’église Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours construite en 1947-1948, explore alors une architecture qui tranche avec les traditions plus anciennes du Vieux-Nord. Cet édifice exprime une époque où Sherbrooke s’ouvre aux lignes droites, aux volumes épurés et à une esthétique qui ne cherche pas à imiter le passé, mais à affirmer une modernité bien à elle.
Et puis, vous le mentionnez, il y a les grands gestes du béton brut: le brutalisme. Même si Sherbrooke n’est pas remplie de ces monstres de béton comme certaines grandes villes, ce style a tout de même laissé sa marque.
Le plus ancien bâtiment de l’Université de Sherbrooke, la faculté des sciences bâtie en 1957, en est un exemple parlant. Formes géométriques massives, béton apparent sans ornement, mise en avant de la fonctionnalité: voilà une architecture qui ne cherche pas à séduire, mais à imposer une présence. Certains la trouvent froide, d’autres lui reconnaissent une force et une honnêteté matérielle.
Plus proche du centre-ville, un autre exemple de modernité forte à Sherbrooke est l’édifice fédéral de la place de la Cité. Construit dans le contexte de la prospérité d’après-guerre et de la multiplication des services fédéraux, il représente à la fois un bâtiment utilitaire et un symbole politique. Sa façade monumentale, sa division en trois parties rappelant une composition classique, ses matériaux nobles comme le granit clair et foncé, tout cela lui donne une allure à la fois moderne et institutionnelle.
À l’intérieur, marbre et plâtre décoratif rappellent que le modernisme ne signifiait pas nécessairement austérité! L’édifice s’impose comme un repère sur la rue King Ouest et sur plateau Marquette, marquant la présence du gouvernement fédéral et accompagnant la transition de Sherbrooke vers une économie de services régionaux.
Alors, quelle place tient l’architecture moderne dans le patrimoine sherbrookois? Elle n’a peut-être pas la même aura nostalgique que les maisons victoriennes ou les briques rouges de nos églises centenaires, mais elle témoigne d’un pan essentiel de l’histoire urbaine: celui de la croissance d’après-guerre, du boom démographique, des banlieues et de l’institutionnalisation des services publics.
C’est un patrimoine plus récent, souvent jugé sévèrement, mais qui mérite qu’on s’y attarde.
Sherbrooke est une mosaïque architecturale: entre les galeries victoriennes, les bungalows de banlieue et les blocs de béton brutalistes, chacun peut trouver un morceau d’histoire à son goût. Si le bungalow paraît banal ou si le brutaliste semble trop sévère, souvenez-vous qu’un jour, peut-être, vos petits-enfants viendront demander: «Grand-maman, c’est vrai que tu habitais dans une maison patrimoniale… avec garage intégré?»
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Cynthia Beaulne, La Tribune
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