POURQUOI UNE CROIX AU MONT BELLEVUE?
Par M. Hist - Musée d'histoire de Sherbrooke

Pourquoi y a-t-il une croix sur le mont Bellevue?
Eric
Cher Eric,
Une question simple et directe, mais pourtant intéressante et qui appelle une réponse développée!
Si vous avez levé les yeux vers le mont Bellevue de Sherbrooke, impossible de manquer sa grande croix lumineuse. Mais pourquoi ce symbole trône-t-il au sommet de la montagne? L’histoire de cette croix nous ramène il y a 75 ans, une époque où Sherbrooke était bien différente de la ville que nous connaissons aujourd’hui.
Le projet d’une croix lumineuse à Sherbrooke remonte au moins aux premières décennies du 20e siècle: on projette d’en élever une pour le «Centenaire» de la ville en 1937, mais cela ne se concrétise pas.
En 1950, le pape Pie XII déclare une année sainte et invite les communautés du monde entier à ériger des croix comme symboles de paix. À Sherbrooke, l’idée séduit et le projet voit le jour grâce à une mobilisation populaire.
Les terrains convoités appartiennent alors à trois agriculteurs, mais la détermination des Sherbrookois permet de lancer les travaux.
La construction, confiée à Laurent et Lucien Blais de Métallurgie Moderne Enr., débute le 23 septembre 1950 et mobilise des moyens impressionnants. Imaginez donc: la croix mesure 33 mètres de haut (certainement un clin d’œil à l’âge de Jésus-Christ lors de sa crucifixion, selon la tradition chrétienne) et pèse 17 tonnes. Avec quelques mètres de plus que la croix du Mont-Royal à Montréal, elle devient l’un des symboles de fierté de Sherbrooke.
La bénédiction de la croix lumineuse fait l’objet d’une pleine page dans La Tribune. (Photo La Tribune, 15 octobre 1950)
La bénédiction de la croix lumineuse fait l’objet d’une pleine page dans La Tribune. (Photo La Tribune, 15 octobre 1950)
Le 29 octobre 1950, la croix est inaugurée devant une centaine de curieux. Le sénateur Charles Benjamin Howard, qui est également maire de Sherbrooke à ce moment, joue un rôle central dans le projet. Il souhaite que cette croix devienne un symbole de bonne entente entre les communautés anglo-protestantes et franco-catholiques de la région. Pour certains hommes d’église, comme le Père Létourneau, la croix représente aussi un rempart spirituel contre ce qu’il appelle «l’aberration communiste», un discours typique de l’époque marquée par la guerre froide.
Le projet coûte 10 000$, une somme conséquente pour l’époque. Sur ce montant, 8000$ sont recueillis par une souscription populaire, indiquant l’enthousiasme des Sherbrookois. Ce soutien collectif traduit bien l’importance qu’attache la population locale à cette croix, symbole autant religieux que communautaire.
La croix du mont Bellevue, vers 1970. (Photo Fonds Ville de de Sherbrooke, Mhist)
La croix du mont Bellevue, vers 1970. (Photo Fonds Ville de de Sherbrooke, Mhist)
La croix est, elle-même, pionnière sur la colline: elle est érigée bien avant la création officielle du parc du Mont-Bellevue, qui est aujourd’hui l’un des plus grands espaces verts de Sherbrooke avec ses deux kilomètres carrés. À l’époque, la montagne est simplement une colline rurale, entourée de terres agricoles. Depuis, la croix est devenue un repère visuel et un emblème de la ville. Elle a traversé les décennies et reçu des soins particuliers pour briller encore aujourd’hui: pour son 50ᵉ anniversaire, on a même appliqué une peinture réfléchissante sur sa façade pour rehausser son éclairage.
La croix du mont Bellevue est bien plus qu’une structure imposante: elle raconte une page de l’histoire sherbrookoise, mêlant foi, solidarité et aspirations de paix. La prochaine fois que vous la verrez scintiller sur la montagne, pensez à son rôle dans le passé… et à sa place dans le cœur des Sherbrookois depuis plus de 70 ans.
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Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne