Quand le Nord de Sherbrooke n'est pas au nord
Par M. Hist - Musée d'histoire de Sherbrooke

Bonjour,
Je me demande depuis longtemps: pourquoi les quartiers Ouest, Est et Nord de l’ancien Sherbrooke ne correspondent-ils pas vraiment aux points cardinaux? Et pourquoi n’existe-t-il pas de «quartier Sud», alors qu’on parle plutôt de centre-sud ou de centre-ville? […] C'est très mêlant, tout cela. M. Hist, peux-tu m’éclairer?
Marie-Christine
Chère Marie-Christine,
Nord, Sud, Ouest… D’aucuns diraient que selon notre emplacement, ça change tout. Et vous allez le constater: à Sherbrooke, les points cardinaux ont une histoire toute particulière quand il s’agit de nommer les divisions de l’espace urbain. Prenez votre boussole et suivez-nous!
Dans les années 1830, une première division du territoire urbain est opérée par la Compagnie des terres, la fameuse British American Land Company, qui vient à peine de poser ses valises dans la ville. Cette division ne comprend que Sherbrooke-North et Sherbrooke-South, séparation effectuée selon la ligne de démarcation naturelle que constitue la rivière Magog. À l’époque, on parlait aussi parfois d’Upper Town «Ville-Haute» pour désigner le plateau Marquette, alors que la «Basse-Ville» s’étalait entre la rue Wellington et la rivière Saint-François.
En 1875, on annonce la division de la cité de Sherbrooke en quatre quartiers distincts. On précise que sont «nord» et «sud» dans ce contexte: le sud de la rue King, et le nord de la rivière Magog. (Photo Le Progrès de l'Est, 17 décembre 1875)
En 1875, on annonce la division de la cité de Sherbrooke en quatre quartiers distincts. On précise que sont «nord» et «sud» dans ce contexte: le sud de la rue King, et le nord de la rivière Magog. (Photo Le Progrès de l'Est, 17 décembre 1875)
Devenue officiellement une «Cité» en 1875, Sherbrooke est divisée en quatre quartiers électoraux. On se met à employer les termes de «North Ward» pour le Nord de la rivière Magog, de «East Ward» pour l’Est de la rivière Saint-François, de «Center Ward» pour le centre-ville historique et de «South Ward» pour ce qui se trouve au sud géographique de la rue King.
Cette répartition prend tout son sens compte tenu de l’évolution historique de Sherbrooke, qu’elle reflète parfaitement: le centre est celui qui se développe le premier, autour du confluent des rivières Magog et St-François, et autour de ce «centre» se greffent les trois autres quartiers. Vous remarquerez qu’à cette époque, c’est l’Ouest qui n’est pas représenté.
Depuis le début du XXe siècle, le «South Ward» s’étend au-delà de la rue Ball, jusqu’à l’actuelle rue Aberdeen.
Une carte rend souvent les choses plus claires: on voit que le «centre» à partir duquel sont définis les points cardinaux est le centre historique, autour du confluent des rivières et de la rue Wellington. Quant à «l’ouest», il n’existe pas encore dans l’espace urbain… (Photo Pointscardinaux_carte 1881)
Une carte rend souvent les choses plus claires: on voit que le «centre» à partir duquel sont définis les points cardinaux est le centre historique, autour du confluent des rivières et de la rue Wellington. Quant à «l’ouest», il n’existe pas encore dans l’espace urbain… (Photo Pointscardinaux_carte 1881)
Ce n’est que dans les années 1920, avec la construction de la cité modèle et du quartier ouvrier aux abords de l’usine Canadian Connecticut Cotton Mills, qu’on commence à parler d’un cinquième quartier: le quartier «ouest» (La cité modèle, une ville dans une ville)
Puis, ce même quartier est agrandi, vers 1940, lorsque le secteur de «Collinsville» est annexé au territoire municipal. Où est-ce situé, me direz-vous? Imaginez-vous un espace s’étalant du sud du pont Jacques-Cartier jusqu’à l’Université, où se tenaient quelques maisons et des fermes (Sherbrookois, vous rappelez-vous Collinsville?).
Dans la foulée, c’est le territoire d’Ascot-Nord, (dans l’Est!) connue depuis 1971 sous le nom de Fleurimont (La fois où Fleurimont a failli s'appeler «Sherville») qui pense à demander son annexion…

Au fil des années, vous le constatez, ce que l’on appelle «ville de Sherbrooke» prend un visage bien différent, gagnant du terrain dans plusieurs directions, d’est en ouest et du nord au sud!
Enfin, avec le développement des études sur l’histoire locale dans les années 1970, menées par la Société d’histoire de Sherbrooke et par le Groupe de recherche en histoire régionale à l’Université de Sherbrooke, l’expression «centre-sud» se popularise et est reprise par la presse locale.
Depuis le début des années 2000, du fait de la fusion municipale, le territoire de la ville comprend désormais Lennoxville au sud, Fleurimont à l’est, Rock Forest, Saint-Élie et Deauville à l’ouest, Bromptonville au nord. Son extension est la plus importante de son histoire, et cela reconfigure assurément notre compréhension de l’espace urbain et des points cardinaux…
Certaines dénominations se maintiennent, tandis que d’autres ont changé de sens. Avec le temps, c’est le lac des Nations qui semble devenir le centre autour duquel rayonnent les points cardinaux des différents secteurs de la ville. Si «l’Est» actuel renvoie toujours aux quartiers situés de l’autre côté de la rivière Saint-François, «l’Ouest» peut désormais désigner le grand territoire au-delà du boulevard Jacques-Cartier et le long du boulevard Bourque. Pour le quartier Sud, ne le chercher plus, il figure seulement sur les vieilles cartes et il a disparu de l’appellation populaire.
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Cynthia Beaulne, La Tribune
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