Quand les chips font patate à Sherbrooke

Pourriez-vous nous parler d'une usine de croustilles qui, si ma mémoire est bonne, se nommait les Chips Ballerina. Il me semble que c'était autour de 1955 et qu’elle était située sur la rue Roy.
Rachel Gendron
Chère Rachel,
Voici une histoire bien plus croustillante qu’on pourrait le penser.
De prime abord, on pourrait penser que les croustilles n’ont rien de local et qu’elles ne sont pas une chose «historique». En plus, on pourrait penser qu’elles sont insignifiantes, futiles et salées ou encore qu’elles ne laisseraient dans leur sillage qu’un parfum d’huile de friture et de puissantes industries étrangères. Pourtant, Sherbrooke a sa petite histoire de «chips».


La nouveauté est le premier argument de vente des «patates chips» Ballerina. (Image, La Tribune, 17 janvier 1958)
La nouveauté est le premier argument de vente des «patates chips» Ballerina. (Image, La Tribune, 17 janvier 1958)
Précisons que les «chips» que l’on vend dans les années 1930 ne sont pas des croustilles, mais des patates frites (au sens du terme anglais britannique chips). Pour ajouter à la confusion, certains établissements proposent même des «fish and chips»: une portion de poisson servie avec des croustilles.
La première entreprise locale d’importance à vendre des croustilles est visible à la fin des années 1940: la Sherbrooke Potato Chips, sise sur la rue Drummond (actuelle rue Galt Ouest), vend ses croustilles dans toute la ville.
On trouve cependant à Sherbrooke très peu de producteurs de ce genre de grignotines salées, mais plutôt des distributeurs locaux de produits venus de Montréal – par exemple, les fameuses chips «Davy Crockett’s».
Cette situation change avec l’arrivée de la Sherbrooke Home Made Chips au début de l’année 1958. La petite manufacture s’établit au 1666 de la rue Galt Ouest et propose son produit phare: «les patates chips Ballerina»!
L’entreprise l’affiche: elle est fièrement sherbrookoise. Fondée par monsieur Arthur Poulin, un natif de Sherbrooke, la société vante une production locale, selon un procédé de friture nouveau. Les pommes de terre sont fournies par Thompson et Alix limitée et la machinerie par J. L. Belleau, alimentée par le carburant de la compagnie de gaz propane du Québec. La Tribune salue l’initiative de l’entrepreneur, la modestie des locaux, le soin minutieux apporté à la confection et la générosité avec laquelle sont remplis les sacs, vendus, à l’époque, entre 0,05$ et 0,40$.

Les employés s’affairent pour confectionner les chips sherbrookoises, dans la manufacture du 1666, rue Galt Ouest. (Photo, La Tribune, 17 janvier 1958)
Les employés s’affairent pour confectionner les chips sherbrookoises, dans la manufacture du 1666, rue Galt Ouest. (Photo, La Tribune, 17 janvier 1958)
Un mois à peine après l’ouverture de la manufacture, un concours est lancé: il s’agit de récolter dans les sacs les lettres qui forment le mot «Ballerina» et de les échanger contre un prix. C’est à ce moment que la manufacture déménage sur la rue Roy, au 1941. On la retrouve sous le nom «Ballerina Chips & Pop Corn Enr.»
Hélas, l’aventure ne dure pas longtemps: après six mois d’existence, la compagnie Ballerina est déclarée en faillite. Si ces croustilles ne laissent «aucun dépôt (…) sur les doigts», elles auront quand même laissé quelques marques dans l’histoire!
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Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne