Quand Sherbrooke trottait encore

Par M. Hist - Musée d'histoire de Sherbrooke

Les automobiles changeront complètement le visage de notre ville, en développement et en aménagement. Ici, vous reconnaitrez peut-être la côte King. (Photo Fonds Louis-Philippe Demers, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Les automobiles changeront complètement le visage de notre ville, en développement et en aménagement. Ici, vous reconnaitrez peut-être la côte King. (Photo Fonds Louis-Philippe Demers, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Cher M. Hist,

Depuis quand les chevaux ne sont plus admis dans les rues de Sherbrooke?

Réjean B.

Cher Réjean,

Voilà une question qui trotte dans toutes les têtes! On s’imagine que les chevaux ont déserté nos rues depuis belle lurette, chassés par le rugissement des moteurs et l’asphalte à perte de vue… mais la réalité pourrait vous surprendre. En selle!

Un tour de calèche dans nos rues? C’était possible il y a quelques décennies. En 1964, un cocher passe avec son «véhicule» devant le New Sherbrooke Hotel. (Photo Fonds Jacques Darche, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Un tour de calèche dans nos rues? C’était possible il y a quelques décennies. En 1964, un cocher passe avec son «véhicule» devant le New Sherbrooke Hotel. (Photo Fonds Jacques Darche, Musée d’histoire de Sherbrooke)

L’histoire de Sherbrooke commence avec des sabots bien plantés dans le sol. Bien évidemment, les premiers colons utilisent les chevaux lorsqu’ils s’installent dans le hameau. De plus, dès 1818, la diligence est le premier grand moyen de transport public dans la région.

(Photo La Tribune, 6 juillet 1920)

(Photo La Tribune, 6 juillet 1920)

Pompiers, policiers, livreurs, croque-morts, tout le monde dépend du cheval. Sur la rue Commerciale (notre actuelle rue Dufferin), il n’est pas rare de voir des chevaux entrer et sortir tranquillement de l’écurie de l’Hôtel Magog. Sur le terrain de l’Exposition agricole, on leur fait faire la course. Même les premiers tramways de Sherbrooke, en 1897, sont… tirés par des chevaux. Eh oui! Avant de foncer sur des rails électrifiés, le tramway trottinait à la force animale.

Avec l’arrivée de la voiture, le paysage se transforme, mais pas sans heurts (ni hennissements). Dans les années 1900, la rue se partage encore entre calèches et moteurs pétaradants, et les chevaux n’en mènent pas large. Ils se cabrent, paniquent, détalent…

Au début du 20e siècle, la cohabitation entre le tramway et des chevaux est chose courante. On reconnaît ici l’intersection des rues Frontenac et Dufferin. (Photo Fonds Frederick Smith, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Au début du 20e siècle, la cohabitation entre le tramway et des chevaux est chose courante. On reconnaît ici l’intersection des rues Frontenac et Dufferin. (Photo Fonds Frederick Smith, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Face à cette cohabitation chaotique, la Ville tente de jouer les médiateurs. Plusieurs règlements sont adoptés pour encadrer la conduite automobile. Au centre-ville, on doit rouler au pas, et surtout s’arrêter si un cheval montre des signes d’angoisse.

Une histoire amusante: en août 1906, Georges M. Howard est poursuivi parce qu’il n’a pas immobilisé sa voiture alors qu’un cheval effrayé arrivait en sens inverse. Le conducteur du cheval, M. Goodhue, avait crié l’ordre d’arrêter — ce que Howard n’a pas fait. Verdict: 100$ d’amende, une somme colossale à l’époque. Autrement dit, à Sherbrooke, mieux valait éviter de croiser un cheval… de mauvaise humeur.

Peu à peu, les moteurs prennent le dessus. En 1928, un grand virage s’amorce: la Ville achète quatre camions pour remplacer les charrettes municipales tirées par des chevaux — y compris celles affectées aux vidanges.

Un article de La Tribune cette même année est sans appel: «Le cheval est supplanté en notre ville» (La Tribune, 21 mars 1928, p.3). Les élus justifient cette décision par une logique économique: les véhicules motorisés sont jugés plus efficaces, plus rapides… et surtout, moins coûteux à nourrir. À partir de là, les sabots cèdent tranquillement les rues aux pneus. Le changement se propage aussi à la campagne: les tracteurs remplacent les chevaux de trait, et la voiture devient l’outil de base du quotidien.

Dans les années 1970, le Festival des Cantons ramène, le temps de quelques jours, des moyens de transport d’antan. (Photo Fonds Festival des Cantons, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Dans les années 1970, le Festival des Cantons ramène, le temps de quelques jours, des moyens de transport d’antan. (Photo Fonds Festival des Cantons, Musée d’histoire de Sherbrooke)

La cohabitation chevaux et voitures ne se terminent pas à cet instant pour autant. Par exemple, en 1970, sept chevaux s’échappent d’un champ de Deauville, leur aventure sur le boulevard Bourque provoque un spectaculaire accident. Un des automobilistes impliqués s’exclame «Les chevaux n’ont pas de lumières et quand je les ai aperçus, ils étaient sur moi». Bien que les chevaux ne constituent plus le moyen de transport le plus populaire, la remarque n’est pas sans rappeler les demandes des automobilistes des années 1920 et 1930 qui souhaitent que des lumières ou des réflecteurs soient installés sur tous les types de véhicules, y compris ceux à traction animale!

Claire Langis est assise sur une charrette et un chien est à ses côtés. Claire tient les guides d'un cheval attelé à la charrette. On aperçoit (en partie) la maison au revêtement extérieur en lattes de bois. (Photo Fonds Famille Rodolphe Langis, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Claire Langis est assise sur une charrette et un chien est à ses côtés. Claire tient les guides d'un cheval attelé à la charrette. On aperçoit (en partie) la maison au revêtement extérieur en lattes de bois. (Photo Fonds Famille Rodolphe Langis, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Vous pensez sûrement qu’il en est fini des chevaux à Sherbrooke. Eh bien non! Vous avez toujours le droit de circuler à cheval à Sherbrooke. Vous avez bien lu!

Mais avant de monter sur vos grands chevaux, prenez le temps de lire ce qui suit. Le Règlement n°1300 de la Ville de Sherbrooke précise qu’il demeure interdit de circuler sur les rues Wellington Nord et Sud (5.1.66) ainsi que sur les pistes cyclables (5.3.4). Pour les autres rues, si ça vous prend de vous promener avec votre cheval, sachez que vous avez l’obligation de maintenir le cheval sous garde (5.1.99) et de le munir d’une couche recueillant ses excréments (5.1.100). Ce n’est donc pas les règlements qui freinent la présence des chevaux dans nos rues, mais plutôt l’évolution de nos moyens de transport.

Alors, cher lecteur curieux, la prochaine fois que vous verrez un panneau de signalisation, sachez qu’aucune loi n’empêche un bon vieux destrier de le croiser. Il suffit de respecter les règles — et d’avoir une bonne maîtrise en équitation… et de l’humour.

Et si vous voulez en voir plus sur Sherbrooke, communauté d’hommes et d’animaux, retrouvez-nous pour l’exposition Drôle de faune, un florilège pas « bête » du tout, au Musée d’histoire de Sherbrooke à partir du 10 juillet!

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    Cynthia Beaulne, La Tribune

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