Cher M. Hist,
J’ai entendu dire que La Tribune serait le plus ancien quotidien francophone de Sherbrooke. Est-ce vrai?
Chantal
Chère Chantal,
Excellente question! C’est en effet le plus ancien quotidien francophone… mais pas le plus ancien journal! Avant La Tribune, il y a eu un autre journal, partiellement oublié du grand public, mais essentiel pour comprendre les débuts de la presse francophone dans la région. Ce pionnier de Sherbrooke s’appelait… Le Pionnier de Sherbrooke.
Pour remonter aux origines, il faut replacer les choses dans leur contexte. Au milieu du 19ᵉ siècle, Sherbrooke est encore largement anglophone. La presse locale est publiée en anglais, avec parfois quelques paragraphes en français pour accommoder la minorité francophone. C’était le cas depuis le St. Francis Courier and Sherbrooke Gazette, dès les années 1830.
Mais tout change au tournant des années 1870: la population francophone devient majoritaire. La demande pour un journal dans leur langue, et surtout traitant de leurs enjeux, est de plus en plus présente.
C’est ainsi que, le 13 octobre 1866, paraît le premier numéro du Pionnier de Sherbrooke, fondé par Hubert-Charron Cabana et Louis-Charles Bélanger. Le premier, H.-C. Cabana, est un avocat, homme d’affaires et grand promoteur de la cause canadienne-française. Il sera d’ailleurs le premier francophone à occuper le poste de maire de Sherbrooke. Au journal, il s’occupe de l’administration et du financement.
Avocat, homme d’affaires, maire en 1895-1896 et journaliste, Louis-Charles Bélanger assure la direction du journal Le Pionnier lors de ses débuts. (Photo Collection Musée d’histoire de Sherbrooke)
Avocat, homme d’affaires, maire en 1895-1896 et journaliste, Louis-Charles Bélanger assure la direction du journal Le Pionnier lors de ses débuts. (Photo Collection Musée d’histoire de Sherbrooke)
Le second, L.-C. Bélanger, est aussi avocat, jumelé à un bagage de journaliste; il assure la rédaction. Ensemble, ils posent donc les bases du tout premier journal francophone de la ville. Une petite révolution culturelle pour l’époque!
Le Pionnier est un hebdomadaire conservateur et nationaliste, et il connaît un succès remarquable. En 1886, Jérôme-Adolphe Chicoyne en prend la direction. Il fait construire un bâtiment sur la rue Marquette, où il installe sa famille, les bureaux du Pionnier et même une seconde publication: La Colonisation. Ce dernier n’est pas qu’une feuille locale: c’est une voix politique et sociale, un forum d’idées qui relie Sherbrooke au reste du Québec.
Les locaux de la rédaction du Pionnier étaient situés sur la rue Marquette, dans un bâtiment érigé pour l’occasion. On en conserve encore des traces dans le paysage architectural du centre-ville. (Photo Collection du Musée d’histoire de Sherbrooke)
Les locaux de la rédaction du Pionnier étaient situés sur la rue Marquette, dans un bâtiment érigé pour l’occasion. On en conserve encore des traces dans le paysage architectural du centre-ville. (Photo Collection du Musée d’histoire de Sherbrooke)
Pour ses 35 ans, en 1901, Le Pionnier compte parmi ses collaborateurs des noms illustres: le linguiste Adjutor Rivard, le journaliste et pamphlétaire Olivar Asselin, ou encore la journaliste et romancière Madeleine Huguenin (alias Myrto). Pas mal pour un journal né dans une petite ville des Cantons!
Mais la fin du siècle est rude pour Le Pionnier. En 1896, la défaite du Parti conservateur, dont il était proche, le prive d’un soutien essentiel. Les difficultés s’accumulent: changements de direction, problèmes financiers, puis déménagement à Montréal en 1901, où il devient un journal du dimanche. L’aventure se termine brutalement en 1902.
Cette première page d’annonces, de cartes d’affaires et de feuilleton marque les débuts de l’aventure du Pionnier en 1866… Et pour les trente-cinq années qui suivent. (Photo Le Pionnier, 13 octobre 1866)
Cette première page d’annonces, de cartes d’affaires et de feuilleton marque les débuts de l’aventure du Pionnier en 1866… Et pour les trente-cinq années qui suivent. (Photo Le Pionnier, 13 octobre 1866)
Son départ laisse un vide dans la presse francophone régionale. Pendant quelques années, Le Progrès de l’Est, issu d’une chicane idéologique dans l’équipe du Pionnier, garde seul le flambeau.
Mais en 1910, grâce à l’achat des presses d’un défunt journal anglophone régional, un nouveau venu surgit… La Tribune.
Avec un format plus ambitieux et publié chaque jour, La Tribune devient la référence dans la presse écrite pour les francophones de Sherbrooke et de la région.
Vous connaissez la suite, votre question en est la preuve, La Tribune est toujours en activité plus d’un siècle plus tard.
Alors, pour répondre clairement: oui, La Tribune est le plus ancien quotidien francophone encore publié à Sherbrooke. Mais sans le courage et la vision du Pionnier, né en 1866, il n’y aurait peut-être jamais eu de Tribune à laquelle se référer pour s’informer quotidiennement encore aujourd’hui!
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Cynthia Beaulne, La Tribune
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