QUÉBEC, NOUVEAU
BERCEAU DU HOCKEY
EN AMÉRIQUE DU NORD?
MARC DURAND
Collaboration spéciale
Président de la Société d'histoire du sport et de la capitale nationale
La pratique du shinty et le hurley sur glace en Amérique du Nord a d’abord été raconté à Québec, selon de récentes découvertes.
Il y a 200 ans, le quotidien Quebec Mercury rapporte que des citoyens de Québec ont joué au shinty, un jeu de balle et bâtons sur la glace de la rivière Saint-Charles, le 1er janvier 1825.
C’est la première mention contemporaine nord-américaine de la pratique du sport connu aujourd’hui comme étant du «hockey sur glace».
Et si ce n’était pas assez, le même journal raconte que des jeunes de Québec sont très nombreux à jouer au hurley dans les rues de la ville à l’hiver 1824.
Une autre première historique sur le continent.
Ces découvertes remettent en question le statut de «première ville» pour la pratique documentée du hockey sur glace, précédemment attribué à d'autres localités. C’est ainsi que se présentent les villes de Windsor en Nouvelle-Écosse, ou encore Délı̨nę dans les Territoires du Nord-Ouest.
Le shinty, le hurley et le hockey
Les sports évoqués à ce moment précis ne sont pas appelés «hockey», mais sont des synonymes reconnus. Les Écossais l'appellent «shinty», qui est aussi surnommé «shinny», un terme encore employé aujourd’hui au Canada pour nommer le hockey plus ou moins organisé dans nos rues ou nos patinoires extérieures. Les Irlandais l'appellent «hurling» ou «hurley». Les Anglais l'appellent d’abord «bandy» puis plus tard, également «hockey».
D’autres noms ont aussi été utilisés au 19e siècle.
Plusieurs historiens et auteurs de l’époque parlent d’un seul et même sport d’équipe divisé en deux clans où, à l’aide de bâtons, on tente de pousser une balle ou un objet entre deux poteaux ou objets quelconques posés sur la glace.
Les règles sont adaptées selon l’endroit et le nombre de joueurs présents. Il est toutefois reconnu que le hockey sur glace dit «organisé» prend son envol à l’aréna Victoria de Montréal, le 3 mars 1875, alors qu’il est pratiqué pour la première fois à l’intérieur, sur une surface délimitée.
La pratique plus courante de ce sport à cet endroit, puis au nouveau Quebec Skating Rink trois ans plus tard (1878), éveille l’attention des journaux. La création de clubs, de tournois, de règlements, de ligues et de championnats dans la décennie suivante a propulsé le hockey sur glace vers une reconnaissance universelle.
L'évolution distincte du hurley et du shinty a conduit au développement de caractéristiques uniques propres à chacun de ces sports, qui demeurent aujourd'hui principalement pratiqués dans leurs régions d'origine.
Des patins, de la neige, des rues et des garçons
La jeunesse de Québec a sans doute bien peu à faire lors des froides journées d’hiver aux XVIIIe et XIXe siècles. Aussi, l’idée de patiner et de glisser dans les rues gelées de Québec est une tentation courante, surtout lorsque le fleuve ou les étendues d’eau ne sont pas propices à sa pratique.
Le 24 décembre 1748, l’intendant Bigot interdit d’ailleurs cette pratique dangereuse:
«Ordonnance qui fait défense à toutes personnes et aux enfants de glisser dans les rues de Québec, soit en traîneaux, en patins ou autrement, à peine pour les grandes personnes de dix livres d’amende.»
De toute évidence, des patins à lames étaient déjà disponibles à Québec. On en retrouve en vente chez le coutelier Charles Gautier, tel qu’annoncé dans la Gazette de Québec en 1789. Les hivers froids, comme en 1817 par exemple, permettent de patiner sur le pont de glace jusqu’à l’île d’Orléans. C’est une bénédiction car les amendes pour sa pratique dans les rues de la ville sont encore costaudes: en 1822, elles sont de 5 shillings par contrevenant, ou 8 jours à la maison de correction.
Certes, il est interdit de patiner ou de glisser dans les rues de plusieurs villes, mais pas encore de jouer à des jeux d'équipe. Ça ne saura tarder, car en janvier 1824, apparaît la première mention d'un jeu pratiqué en hiver dans les rues de Québec, et elle revient à un citoyen mécontent au point de s'en plaindre dans un journal.
> Traduction du texte du 31 janvier 1824, Quebec Mercury
(…) Ce jeu qui, en ce moment, est à la mode avec nos garçons dans cette ville, est un véritable ennui pour les marcheurs et pour eux-mêmes. Ce jeu, que je comprends s'appeler «Hurley», consiste en joueurs, divisés en 2 groupes, armés de lourds bâtons. L'une des équipes tente de diriger la balle jusqu'à une certaine limite qui est défendue par l'autre groupe. Évidemment, les bâtons se frappent sans égard aux gens qui pourraient en être blessés, et aucune partie de la ville n'est exempte de ce jeu, qui est joué avec avidité par les compétiteurs juvéniles. Ils brandissent leurs bâtons sous le nez des chevaux qui passent et hier justement, j'ai été entouré par un groupe d'entre eux et j'ai réussi à m'extirper de là non sans difficultés, avec une sévère contusion à la jambe. Parfois, ils vont même jusqu'à jouer avec des blocs de glace ou des patates froides gelées qui sont souvent substituées par une balle qui, frappée avec force, peut vraiment créer des blessures majeures. Quant aux joueurs eux-mêmes, il est évident qu'ils courent après la perte de dents ou d'un œil et de ce que j'en comprends, c'est déjà arrivé. Je ne veux pas être celui qui ne veut pas que les jeunes s'amusent, mais des jeux moins dangereux devraient être choisis à des endroits certainement plus adéquats que dans nos rues étroites en ville. Si cette nuisance continue, je crois qu'il serait pertinent d’en aviser la police.
P.C.
Rue Sainte-Anne, le 30 janvier 1824.
Ce récit d’un citoyen mécontent est involontairement une perle pour l’histoire du hockey, car il exprime le principe même d’un sport à la mode joué en hiver entre deux équipes armées de bâtons et se disputant un objet qui doit franchir une zone délimitée. Il suggère une popularité récente et généralisée. Ce document constitue la première mention publiée de la pratique du hurley sur le continent nord-américain.
Il est toutefois assez évident qu'on ne parle pas de hurley en patins, car ce résident en aurait certainement fait mention. Et comme il est interdit de patiner dans les rues de Québec, il serait plutôt étonnant que ce soit le cas.
Il faudra une patinoire pour s’y adonner.
Et c’est exactement ce qui semble se produire quelques mois plus tard sur la rivière Saint-Charles.
1er janvier 1825: moment historique au Canada
L’hiver suivant, une publication dans le Quebec Mercury, le 21 décembre 1824, annonce la tenue d’un match de shinty sur la «petite-rivière», surnom parfois donné à la rivière Saint-Charles, pour le Nouvel An 1825.
«Un match de SHINTY sera joué sur la «little River» (Rivière Saint-Charles) le 1er janvier 1825 au Nouvel an. Cette partie sera jouée selon les coutumes du Nord de l’Écosse avec des bâtons (appelés CAMMON en gaélique). Tous les gentlemen et amis de l’ancienne Écosse qui voudraient jouer sont invités à se rencontrer ce jour-là à 10h00 du matin au HIGHLAND LADDIE’S tavern(1), sur Grant Street dans Saint-Roch, en face de monsieur John Munn(2), où les bâtons déjà fabriqués seront offerts à tout gentleman qui souhaite jouer. Notez bien que l’endroit le plus convenable sera désigné par le groupe de joueurs, et il est souhaité que les enfants de l’ancienne Écosse se présentent tous et commémorent cette journée pour leurs ancêtres.»
La proximité de la résidence de John Munn et de cette taverne, aisément repérables, les situe judicieusement à quelques mètres de la rivière Saint-Charles, où sera proposé «l’endroit le plus convenable».
> Le communiqué sera publié de nouveau la semaine suivante, puis, le journal Quebec Mercury rapporte l'événement ainsi, le 4 janvier 1825.
«Au jour de l’an, quelques fils de l’ancienne Écosse ont accepté l’invitation au Highland Laddie Tavern dans Saint-Roch alors que le sport national de Shinty a été joué avec beaucoup d’enthousiasme. Un nombre d’officiers hors service et de soldats du 71e, ou encore du Highland Light Infantry, se sont joints au groupe qui s'est conduit tout au long avec une grande harmonie et de manière hautement respectable.»
Ce compte-rendu est partagé dans la Gazette de Québec le 6 janvier, puis dans le Montreal Herald, le 8 du même mois.
L'examen de cet événement historique révèle des éléments organisationnels significatifs. L'emploi de bâtons spécialement préparés et le déroulement de l'événement sur la glace d'une rivière, conformément à la tradition écossaise, suggèrent l’utilisation de patins à glace.
Selon George Penny (1771-1850), dans son livre Traditions of Perth, Scotland écrit avant 1800, «Ce jeu est aussi pratiqué sur la glace par de grands groupes, particulièrement par les patineurs, où il y a habituellement une compétition acharnée.» Il est également rapporté que l’utilisation de patins n'est pas obligatoire, mais confère un avantage certain à ceux qui en sont équipés.
Il est intéressant de noter que le 71e Régiment d'infanterie des Highlands a été déployé en Irlande avant son arrivée à Québec en juillet 1824, marquant son premier déploiement en Amérique du Nord. La coutume sportive écossaise de jouer au shinty sur glace au nouvel an sera répétée à quelques reprises au Canada, en 1839 à Kingston, Ontario; à Montréal sur le canal Lachine en 1840, et pour la même célébration en 1842 à Toronto.
La pratique du hurley et du shinty en hiver, séparés d'un seul été prouvent que la pratique de ces sports d'équipe semble croître rapidement à Québec, et l’inconnu mécontent de la rue Sainte-Anne a finalement gagné son point: depuis 1836, il est désormais interdit de jouer au «hurley-hocky» (qu’on traduit simplement par la «crosse» en français), dans les rues et les places publiques de Québec. Signe que ce jeu porte encore plusieurs noms, on l’écrit tantôt «shinty (la crosse)» en 1840, ou tout simplement «hurley» en 1862.
Québec devant Délı̨nę et plus crédible que Windsor
En octobre dernier, Hockey Night in Canada, sur CBC, a diffusé un reportage de trois minutes mettant en vedette Délı̨nę, cette petite ville des Territoires du Nord-Ouest, en tant que «berceau du hockey».
Si l'on admet que le hockey est appelé de diverses façons, le match de Québec en ce Nouvel an 1825 précède d’au moins 10 mois les récits de l’explorateur anglais Sir John Franklin (1786–1847). Alors basé à Fort Franklin (Délı̨nę) en novembre 1825, il mentionne, dans deux lettres, la pratique d’un jeu sur la glace qu’il appelle «hockey».
La revendication de Windsor en Nouvelle-Écosse précède celle de Québec, mais elle est fondée sur un passage anecdotique publié plusieurs décennies plus tard.
C’est en 1844 que Thomas Chandler Haliburton (1796-1865) raconte les histoires fictives de Sam Slick dans The Attaché, qui aurait joué au «hurly» sur la glace du Long Pond de Windsor, N.-É., lors de ses études au King’s College en 1810.
Bien que l’origine soit probable, sa narration postérieure soulève une interrogation quant à sa contextualisation.
Alors, est-ce que Québec est le nouveau berceau du hockey? Certainement autant sinon plus que Windsor ou Délı̨nę, mais l'utilisation d'un tel slogan demeure inappropriée. Le hockey est plutôt le résultat d'une évolution issue de divers jeux pratiqués à travers le monde, notamment celui de «la crosse», joué par les peuples autochtones, dont les «Hurons de Lorette».
Mais les documents retrouvés suggèrent fortement que la ville de Québec, grâce à ses hivers rigoureux et sa population multiculturelle, a joué un rôle significatif dans l’introduction et le développement du hockey sur glace que l’on connaît aujourd’hui.
Notes
1. L’éponymie de la taverne Highland Laddie, est tirée d'une chanson populaire écossaise aux multiples versions traitant du travail sur les chantiers maritimes. La version populaire nord-américaine présente une référence inattendue à Québec, dès le premier couplet.
Was you ever in Quebec?
Bonnie laddie, Highland laddie,
Loading timber on the deck,
My bonnie Highland laddie.
2. En 1823, John Munn dit le Jeune (1788-1859), célèbre constructeur et propriétaire de navires, juge de paix et homme politique décide de transférer ses activités au faubourg Saint-Roch, au chantier naval de son défunt père, où il emménage dans une maison de brique à deux étages, située au coin des rues Grant (aujourd’hui Monseigneur-Gauvreau) et de la Reine. Cette résidence possédait, en façade, un petit jardin planté d’arbres et, sur le côté, un immense potager. (Le Canadien, Québec, 21 mars 1859, p. 3). Elle est d’ailleurs située à un coin de rue du parc qui porte aujourd’hui son nom, devant la microbrasserie La Barberie.
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PASCALE CHAYER