QUI EST LE VRAI FONDATEUR DE SHERBROOKE?

Entre 1802 et 1836, le village de Sherbrooke a bien évolué. On voit au centre le pont Magog, à qui l’on attribuera le nom de Gilbert-Hyatt. (Illustration collection MHist)

Entre 1802 et 1836, le village de Sherbrooke a bien évolué. On voit au centre le pont Magog, à qui l’on attribuera le nom de Gilbert-Hyatt. (Illustration collection MHist)

Bonjour Monsieur Hist,

L'histoire de notre ville a consacré Gilbert Hyatt à titre de fondateur. Il est toutefois souvent question que la première personne non-autochtone à s'installer ici serait Jean-Baptiste Nolain. Une telle preuve existe-t-elle et, le cas échéant, devrions-nous en tenir davantage compte dans la trame narrative de notre histoire?

Christian B.

Cher Christian,

Épineuse question que celle des origines de Sherbrooke… Un problème qui mérite d’être défriché.

Notre ville est baptisée d’après le nom de Sir John Coapes Sherbrooke en 1818. Avant cela, vous avez raison : c’est généralement à Gilbert Hyatt qu’est attribué le titre de «fondateur» de ce qui s’appelait alors Hyatt’s Mill. Le pont qui porte son nom, sur la Dufferin, consacre également Hyatt comme «fondateur».

Ce pourrait être exact… Dans la mesure où l’on s’entend sur ce que signifie le terme de fondateur. Gilbert Hyatt est présent dans les Cantons-de-l’Est (les Eastern Townships) dans la dernière décennie du 18e siècle. Il était le leader d’un groupe de loyalistes venus de la baie Missisquoi. Mais il ne suffit pas de faire acte de présence pour poser un acte fondateur! En l’occurrence, Hyatt était installé plus au sud, aux abords des actuelles rivières Massawippi et Coaticook. Il n’a manifestement, à l’époque, aucune intention de s’établir plus au nord sur le site des Grandes Fourches.

En réalité, 1802 est retenue comme la date symbolique de la «fondation» de notre ville, car c’est à ce moment que deux pionniers, Gilbert Hyatt et Jonathan Ball, construisent de part et d’autre des chutes de la Magog des moulins qui donnent à Sherbrooke son premier grand élan économique. La rive sur laquelle était situé Hyatt était dans le Canton d’Ascot, tandis que celle sur laquelle se trouvait Ball appartenait au Canton d’Orford. On retient que c’est de la rencontre de ces deux rives qu’est née ce qui sera Sherbrooke.

Et Jean-Baptiste Nolain, alors?

On dit de lui qu’il est «défricheur» de l’actuel site des Grandes-Fourches. Nolain serait présent dès 1795 sur le site et se consacre à des travaux de défrichage en 1799. Il coupe des arbres, travaille le sol… Au sens propre comme au sens figuré, il «prépare le terrain».

Il est assermenté en tant que remplaçant d’un dénommé Philip Dillenback. Jusqu’en 1800 ou 1801, il s’échine sur un terrain d’environ 18 acres sur le lot 18 du rang 7 du Canton d’Ascot, s’étirant entre les actuelles rues Frontenac et Meadow.

Malheureusement pour Nolain, le Comité des terres, à Québec, ne reconnaît pas à Dillenback le titre d’associé. Et comme il n’existe aucune preuve du fait qu’il ait cédé ses droits à Nolain… ce dernier ne reçoit aucune concession lors de la distribution des lots à Gilbert Hyatt et ses associés. En 1802, Hyatt revendique donc pour lui-même le terrain défriché par Nolain. Il y installe son moulin… Et la suite appartient à l’histoire.

Lors des célébrations de 1937, une mise en scène retrace l’arrivée de Gilbert Hyatt dans le hameau qui allait devenir Sherbrooke. (Photo Fonds Jean Bourassa, Mhist)

Lors des célébrations de 1937, une mise en scène retrace l’arrivée de Gilbert Hyatt dans le hameau qui allait devenir Sherbrooke. (Photo Fonds Jean Bourassa, Mhist)

Il y a peu de sources historiques sur la présence de Jean-Baptiste Nolain. On le voit ici tel que figure sur la murale Destiné et origines, au coin des rues Aberdeen et Wellington Sud à Sherbrooke. (Illustration ©M.U.R.I.R.S., 2012)

Il y a peu de sources historiques sur la présence de Jean-Baptiste Nolain. On le voit ici tel que figure sur la murale Destiné et origines, au coin des rues Aberdeen et Wellington Sud à Sherbrooke. (Illustration ©M.U.R.I.R.S., 2012)

Cela étant dit, revenons à votre question : vous vouliez connaître le nom de la première personne non-autochtone à «s’être installée».

Si l’on parle d’un premier travail de défrichage, votre homme est sûrement Nolain. S’il s’agit d’un établissement économique durable à la suite d’un octroi en bonne et due forme, il faudra regarder du côté de Gilbert Hyatt. Ou plutôt… du groupe de pionniers menés par le couple Anna Canfield-Gilbert Hyatt, d’un côté de la Magog, et par celui de Sarah Stiles-Jonathan Ball de l’autre. Mais vous n’êtes peut-être pas obligé de choisir entre l’une ou l’autre des deux rives…

Vous aurez remarqué mes guillemets autour de «fondateur», indice de ma réticence à utiliser ce terme. Plutôt que de couronner un unique personnage comme «fondateur», pourquoi ne pas accorder leur place aux divers «pionniers» qui ont laissé leur marque dans les premières années de l’histoire de la ville, à des degrés divers? Défricher, s’établir, acquérir, construire, développer, relier, baptiser… Tous ces actes comptent. Et comme entrer dans l’histoire est toute une aventure, mieux vaut être accompagné!

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Conception graphique, Cynthia Beaulne