RAPPROCHEMENTS ET RÉCONCILIATION

Gouvernance de proximité et relations avec les Premières Nations

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Route Billy-Diamond- Photo: Simon Jodoin

Route Billy-Diamond- Photo: Simon Jodoin

Maison de la culture Innue, Ekuanitshit - Photo: Simon Jodoin

Maison de la culture Innue, Ekuanitshit - Photo: Simon Jodoin

S’il y a bien enjeu où la gouvernance de proximité prend tout son sens, c’est bien celui des relations avec les Premières Nations.

Ça peut sembler un peu contre-intuitif, car au cours des dernières années, on a beaucoup entendu parler de ces questions sous le signe de la réconciliation, dans des discussions où c’est souvent les instances de pouvoir au provincial et au fédéral qui sont interpellés.

Pourtant, quand on y pense, la réconciliation est indissociable de la proximité, au sens très concret du terme: si on veut améliorer nos relations, les rendre plus consistantes, plus fructueuses, à la base, ça prend des rapprochements.

Il faut que les gens se parlent, se rencontrent, fassent des échanges et passent du bon temps ensemble.

Évidemment, la réconciliation passe aussi par de grands traités et des ententes de très haut niveau entre les Premières Nations et les gouvernements.

Mais ça prend aussi du bon voisinage, des lieux où les citoyens se côtoient et où des amitiés peuvent se développer.

À Gaspé, le maire Daniel Côté, ex-président de l'UMQ, s’intéresse depuis longtemps aux enjeux qui touchent les relations avec les Premières Nations. Gaspé, comme il nous l'explique, c’est un endroit un peu particulier au Québec. La nation mi'kmaq de Gespeg n’habite pas dans une réserve, elle est intégrée dans la ville. Il y a donc une réalité nationale dans un contexte municipal, ce qui est assez inusité comme situation.

« J'ai été sensibilisé aux enjeux autochtones bien avant d'être maire. J'avais une pratique privée comme avocat dans un cabinet où j'étais associé avec un avocat autochtone, maître Richard Jeannotte, et il représentait la Première Nation de Gespeg. Donc, d'entrée de jeu, maître Jeannotte, mon ami, m'a présenté un peu c'est à quoi les enjeux et comme il représentait la nation, j'étais impliqué par la bande dans des dossiers de représentation de la Première Nation de Gespeg. Il faut savoir qu'ici, la communauté de Gespeg ne vit pas sur réserve. Donc, les Mi'kmaqs sont nos voisins, sont nos amis, sont nos collègues de travail. Donc, une intégration assez marquée de la Première Nation à travers le reste de la société. C'est très particulier, c'est un cas très rare au Canada.

Et quand je suis arrivé à la présidence de l'UMQ, j'avais remarqué que les relations entre les Premières Nations et le reste de la communauté étaient parfois difficiles. Donc, on a créé un comité sur les relations, sur les enjeux autochtones entre les Premières Nations et les municipalités. On s'est dit que les municipalités devraient avoir davantage de relations avec leurs voisins des Premières Nations qui devraient devenir non seulement nos voisins, mais aussi nos partenaires et nos amis. Et je me base sur l'expérience vécue ici à Gaspé où on intègre depuis des années, pour ne pas dire des décennies, les Premières Nations à l'intérieur de nos prises de décisions. Pour nous, c'est comme naturel. Je sais que ça ne peut pas être pareil partout, parce qu'il y a d'autres réalités où je voyais que ce n'était pas si fluide. Donc, d'où l'intérêt de mettre ces relations à l'avant-plan. »
- Daniel Côté, maire de Gaspé et ex-président de l'UMQ

Gaspé | Photo : Simon Jodoin

Gaspé | Photo : Simon Jodoin

La relation n’était pas si fluide, et peut-être pas si évidente d’un point de vue politique. Comme on l’entend souvent, pour parvenir à une réconciliation en bonne et due forme, il est primordial de bâtir des relations de nations à nations. Or, de ce point de vue, on a peut-être longtemps considéré que les instances municipales n’étaient pas le bon interlocuteur pour y parvenir.

« Il faut comprendre que dans la perspective des gens des Premières Nations, ils veulent toujours discuter de nation à nation. Dans notre cas, c'est la nation québécoise ou la nation canadienne. La nation municipale n'existe pas. Par contre, d'un côté comme de l'autre, on a des dossiers à travailler, il y a des partenariats qu'on peut faire. Donc le chef accepte qu'on travaille ensemble même si Gaspé n'est pas une nation et que Gespeg est une nation.

Donc, on a voulu casser ce moule-là qui fait qu'un peu partout au Québec, les Premières Nations ne veulent pas nécessairement travailler avec les municipalités et les municipalités sont aussi parfois réfractaires à travailler avec les Premières Nations. On a éclaté le moule, on a fait une déclaration commune, en s'entendant qu'on allait travailler ensemble sur nos enjeux communs tout en se respectant mutuellement. Donc, en cassant le moule, on s'est dit peut-être qu'on va pouvoir inspirer d'autres municipalités ailleurs au Québec. »
- Daniel Côté, maire de Gaspé et ex-président de l'UMQ

À Joliette, dans Lanaudière, on voit bien évidemment, des membres des Premières Nations qui habitent la ville et les villages des alentours, mais c’est aussi là que doivent se rendre les membres de la communauté atikamekw de Manawan, qui habitent à près de 200 km au nord de joliette, pour obtenir certains services. C’est une réalité très différente de celle de Gaspé.

Jennifer Brazeau, Asnishnabe, membre de la communauté de Kitigan Zibi a une longue expérience en développement de projets et depuis l’été 2019, elle est directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière, un organisme dont une des principales missions est justement des parfaire les relations avec les membres des Premières Nations.

« Un centre d'amitié, c'est quand même quelque chose qui est très variable de région à région, mais avec une mission générale d'améliorer les conditions de vie des autochtones vivants ou de passage en milieu urbain. Ça peut donner lieu à des services pour des enfants à l'aide de devoir ou des services pour des aînés. Il y en a qui ont des CPE, des cliniques médicales. On peut avoir du soutien pour des enfants avec des besoins spécifiques. Alors ça peut être très grand, mais en gros, c'est de développer des services pour réparer les autochtones et aussi d'être un pont entre les deux cultures. »
- Jennifer Brazeau, directrice générale du Centre d’Amitié autochtone de Lanaudière

Activité au Centre d'amitié autochtone de Lanaudière | Photo: Miss Bee

Activité au Centre d'amitié autochtone de Lanaudière | Photo: Miss Bee

Murale d'Eruoma Awashish en mémoire de Joyce Echaquan au Musée d'art de Joliette | Photo: Simon Jodoin

Murale d'Eruoma Awashish en mémoire de Joyce Echaquan au Musée d'art de Joliette | Photo: Simon Jodoin

Murale d'Eruoma Awashish en mémoire de Joyce Echaquan au Musée d'art de Joliette | Photo: Simon Jodoin

Murale d'Eruoma Awashish en mémoire de Joyce Echaquan au Musée d'art de Joliette | Photo: Simon Jodoin

Institut culturel Cri Aanischaaukamikw, Oujé-Bougoumou | Photo: Simon Jodoin

Institut culturel Cri Aanischaaukamikw, Oujé-Bougoumou | Photo: Simon Jodoin

En œuvrant directement sur le terrain, afin d'offrir des services aux gens de la communauté tout en tissant des liens avec le reste de la population, c'est surtout avec les instances municipales que Jennifer Brazeau doit développer des relations.

« C'est sûr qu'à Manawan, il y a une relation avec la ville de Joliette, étant donné que plusieurs de leurs membres descendent ici pour justement accéder à des services. Pour nous, en tant que centre d'amitié, on est quand même très proche. On est plus près des municipalités que de François Legault. On ne fait pas de négociations territoriales, on ne se déclare pas comme un pouvoir politique. On est un organisme OBNL, qui est dans la livraison de services. Alors, pour nous, notre relation est beaucoup plus proche du côté municipal parce que c'est très terre-à-terre. Travailler avec des municipalités, en fait, c'est beaucoup plus productif, pour nous, que travailler avec les instances provinciales et fédérales. Je peux te dire honnêtement qu'il y a souvent de vraies actions concrètes qui peuvent se faire avec la gouvernance plus locale. »
- Jennifer Brazeau, directrice générale du Centre d’Amitié autochtone de Lanaudière

Quand on parle de Joliette et de la communauté atikamekw de Manawan, c'est impossible de ne pas penser à l'immense choc qu'a causé la mort de Joyce Echaquan en 2020 à l'hôpital de Joliette.

Cet événement tragique a mis en lumière un problème récurrent: on entend parler de ce qui se passe du côté des Premières Nations quand il y a un drame immense. C'est évidemment important d'en parler, mais le souci, c'est que le reste du temps, c'est un peu le silence radio pour tout ce qui concerne le travail sur le terrain, comme celui que fait Jennifer.

Après ce drame qui a secoué tout le pays, la municipalité de Joliette a voulu mettre en branle un plan de réconciliation avec les Premières Nations. Cette initiative partait sans doute de bonnes intentions. Ça démontrait de l'ouverture. Mais malheureusement, les personnes qui travaillent sur le terrain et les membres de la communauté n'avaient pas été consultés. On visait la réconciliation, mais on n'avait pas eu de conversation.

« Oui, justement, ça devrait commencer avec une conversation, parce que dans ce cas-là, il n'y en a pas eu de conversation. C'était très unilatéral comme fonctionnement, on n'était pas du tout impliqués dans le processus de création de ce plan. C'est sûr que dans toutes les relations qui sont en train d'être développées, il va y avoir de faux pas. L'objectif, ce n'est pas de piéger personne dans de faux pas, mais d'apprendre après de faux pas. Pour faire la réconciliation, il faut avoir une conversation. »
- Jennifer Brazeau, directrice générale du Centre d’Amitié autochtone de Lanaudière

Ce que dit Jennifer Brazeau est précieux: c'est normal de faire de faux pas, de se tromper et d'être maladroit. Il faut bien l'admettre, on se connaît plus et on se connaît mal. Si on parle de réconciliation, c'est parce qu'on reconnaît qu'il y a eu une rupture et qu'on souhaite créer de nouveaux liens.

« Il y a eu aussi des changements au sein du conseil municipal et ça a fait en sorte qu'après, il y avait beaucoup plus d'ouverture et une nouvelle façon de penser les choses. Ça a donné un deuxième souffle, je pense, aux relations qui étaient un peu tendues, je dois le dire honnêtement, au début. Une fois qu'on a passé à travers ça, ça fait que désormais, on a quand même une superbe relation avec la ville de Joliette, avec beaucoup de complicité, avec de beaux projets. Ces nouvelles relations, c'est quelque chose dont on est très fiers.»
- Jennifer Brazeau, directrice générale du Centre d’Amitié autochtone de Lanaudière

Ce qu'il faut bien voir aussi, c'est que l'inclusion des Premières Nations, la reconnaissance et la mise en valeur de leurs cultures, c'est toute notre société qui en bénéficie. On parle souvent du Québec comme d'une société distincte. Pour Daniel Côté, les cultures des Premières Nations, leurs langues, ça joue un rôle majeur dans nos manières de nous distinguer. Ce sont des atouts qu'on doit impérativement prendre en compte et mettre de l'avant.

« C'est un héritage historique et culturel qui est énorme. C'est une perspective différente sur l'histoire également. On doit en être fiers, on doit mettre ça de l'avant. Évidemment, ce n’est pas à nous comme élus municipaux à prendre ça sur nos épaules parce qu'il faut le faire de manière extrêmement respectueuse avec les porteurs de cette culture. C'est pour ça que, moi, comme maire, je suis extrêmement fier des avancées qu'on a faites dans nos relations avec les Premières Nations. (...) Je suis fier que le drapeau de la Première Nation de Gaspé flotte sur le mât de l'hôtel de ville. Je suis fier que le drapeau mi'kmaq soit à mes côtés. Je suis fier que parmi le personnel municipal, on ait plusieurs membres de la Première Nation. Je suis fier que dans ma salle du conseil municipal, il y ait une chaise des générations, fabriquée par des acteurs des communautés, qui nous rappelle que chaque décision qu'on prend, on le fait pour les générations futures.

Je serais fier, si la loi 96 vient qu'à me le permettre, que mes entrées des villes soient affichées en trois langues. « Bienvenue à Gaspé », « Welcome to Gaspé », « Pjila'si Gespeg », je serais fier de le faire!

La loi ne me le permet pas, mais je continue de militer pour qu'on nous permette d'afficher dans les langues des Premières Nations. Ça, ça va être un prochain combat, j'ai semé la graine de ce combat lors de mon passage à la présidence de l'UMQ. Je continue ce combat comme maire, et je sais que l'UMQ appuie énormément cette revendication .Je comprends qu'on veut préserver le français, mais ce ne sont pas les langues des Premières Nations qui vont faire mal à la langue française, loin de là! »
- Daniel Côté, maire de Gaspé et ex-président de l'UMQ

Cette question des langues, ça illustre très bien des craintes et des hésitations qui n'ont pas lieu d'être. On sait, au Québec, à quel point la question de la langue est cruciale lorsqu'on souhaite mettre en valeur les identités nationales. C'est évidemment un souci que nous devrions partager avec les Premières Nations.

Il reste pas mal de travail à faire et de conversations à mener et la question des langues et des cultures autochtones vont sans doute prendre plus d'espace au cours des prochains mois. Lorsqu'on demande à Jennifer Brazeau ce qu'elle souhaite pour l'avenir, l'importance de mettre en valeur les cultures des Premières Nations lui est tout de suite venue à l'esprit.

« Je ne peux pas parler pour tous les autochtones, je ne peux pas juste parler seulement pour moi non plus. J'espère que notre culture, que notre peuple vont avoir une visibilité sur leur territoire de façon positive. Je souhaite qu'on puisse voir comment les autochtones ont contribué, non seulement dans l'histoire, mais aujourd'hui aussi, au bien-être de tout le monde et que notre vision du monde puisse être partagée aussi auprès des allochtones. Je pense que c'est une richesse et que ça pourra enrichir tout le monde. »
- Jennifer Brazeau, directrice générale du Centre d’Amitié autochtone de Lanaudière

Pour Daniel Côté, il faut solidifier les relations, un objectif qui implique impérativement une reconnaissance des spécificités culturelles des Premières Nations.

« Je souhaite des relations plus fortes. Si on réussit à mettre en valeur les langues des Premières Nations, si on réussit à développer des partenariats culturels et touristiques pour mettre en valeur ce territoire, avec les forces des Premières Nations, cette force identitaire, cette force culturelle, pour attirer davantage de gens de l'extérieur sur notre territoire québécois, si on réussit ça, main dans la main avec les Premières Nations, ce sera un pas de géant qu'on aura réussi à franchir collectivement. »
- Daniel Côté, maire de Gaspé et ex-président de l'UMQ

Comment ça va chez vous ? est une production des Coops de l'information
en partenariat avec l'Union des municipalités du Québec
Conception, réalisation et animation : Simon Jodoin

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