SHERBROOKE, VILLE DE CIGARES

Intérieur du United Cigars Store (vers 1932). (Photo, Fonds Paul-Émile Bourque, Mhist)

Intérieur du United Cigars Store (vers 1932). (Photo, Fonds Paul-Émile Bourque, Mhist)

Bonjour M. Hist,

Merci beaucoup pour vos chroniques. Je me demandais, si vous aviez des histoires à nous conter sur l’industrie du tabac et des cigares à Sherbrooke?

Manuel

Cher Manuel,

Vous avez raison: nul besoin de se rendre à Cuba pour humer les parfums de la confection du cigare. L’industrie du tabac a déjà été solidement implantée au cœur même de notre ville! Dissipons sans attendre le mystère et la brume du tabac, et regardons de plus près cette histoire.

«L’Indien en bois» devant le magasin Kinkead. Dès 1900, la boutique était présentée dans le journal comme «L’enseigne à l’Indien». (Photo, Collection Musée d’histoire de Sherbrooke)

«L’Indien en bois» devant le magasin Kinkead. Dès 1900, la boutique était présentée dans le journal comme «L’enseigne à l’Indien». (Photo, Collection Musée d’histoire de Sherbrooke)

Difficile de faire remonter l'histoire du cigare à Sherbrooke plus loin que 1863. C’est à cette époque que se trouve à Sherbrooke la H.W. Barber Co. (ou H.W. Bunker), la plus ancienne compagnie de tabac et de cigares connue dans notre ville. Sans doute installée aux abords du carré Strathcona, cette entreprise pionnière a ouvert la voie à une industrie florissante.

Les années 1870 marquent l’arrivée du Montreal Tobacco Store de H. Fortier, un magasin situé sur la rue Wellington Nord. À défaut de planter du tabac, ce commerçant plante dès 1874 devant son magasin sa célèbre statue figurant un «Indien en bois» (wooden Indian) qui demeurera en place près de 70 ans!

Ce commerce, acheté par A. Kinkead et F.W. Kline, devient connu sous le nom d’A.E. Kinkead. Il restera en activité jusqu'en 1939, traversant plusieurs décennies avec ses cigares prisés, preuve de la longévité de la passion locale pour ce produit.

Après la vente de son commerce, Fortier, un visionnaire, ne s’arrête pas là. En 1882, il fonde la Sherbrooke Cigar Factory, logée au-dessus de l’établissement de spiritueux de Daniel McManamy sur la rue King Ouest. La Sherbrooke Cigar Factory se distingue par ses produits phares: le «Sherbrooke Fancy» ou encore le «Bee».

L’apogée de l’industrie du cigare à Sherbrooke se situe à la charnière des 19e et 20e siècles. En 1885, deux géants du domaine, W.R. Webster et Charles H. Nutter, acquièrent la Sherbrooke Cigar Factory, la transformant en Queen Cigar Factory. Le nom change, mais la qualité reste. En 1902, la Queen Cigar Factory atteint des sommets avec une production de près de quatre millions de cigares! À cette époque, un cigare d’un prix moyen se vendait pour environ cinq sous.

L’édifice de la W.R. Webster and Co. Limited, siège de la Queen Cigar Factory, représenté ici vers 1910. L’immeuble est toujours présent au coin des rues Webster et Meadow. (Photo, Fonds Léonidas Bachand, Mhist)

L’édifice de la W.R. Webster and Co. Limited, siège de la Queen Cigar Factory, représenté ici vers 1910. L’immeuble est toujours présent au coin des rues Webster et Meadow. (Photo, Fonds Léonidas Bachand, Mhist)

La majorité des vingt-cinq travailleurs sont alors des garçons âgés de 10 à 15 ans. Ceux-ci roulent à la main les feuilles de tabac en cigares. L’édifice sur la rue Meadow devient le centre névralgique de cette production, reconnue dans l’Est du Canada et jusqu’aux États-Unis. Allez faire un tour sur cette rue, perpendiculaire à la rue Wellington: vous verrez encore le grand édifice de briques rouges!

Au centre du plan, la Cigar Factory de W.R. Webster et Co. À l’époque (vers 1907), cela fait près de trente ans qu’elle est en activité. (Plan d’assurances de 1907, revue en 1917)

Au centre du plan, la Cigar Factory de W.R. Webster et Co. À l’époque (vers 1907), cela fait près de trente ans qu’elle est en activité. (Plan d’assurances de 1907, revue en 1917)

Une boîte des cigares Hogen-Mogen, produits par la Sherbrooke Cigar Co., est très prisée à l’époque. (Photo, Collection Musée d’histoire de Sherbrooke)

Une boîte des cigares Hogen-Mogen, produits par la Sherbrooke Cigar Co., est très prisée à l’époque. (Photo, Collection Musée d’histoire de Sherbrooke)

Quelque temps plus tard, des anciens employés de la Queen Cigar Factory lancent la Sherbrooke Cigar Company, qui s’installe au coin des rues Ball et Gillespie. Cette nouvelle entreprise continue la tradition de l’art du cigare, même si le vent commence à tourner.

Le crépuscule de l’industrie du cigare à Sherbrooke arrive avec les années 1930. La montée en puissance de la cigarette et les changements dans les préférences des consommateurs contribuent à la lente disparition des compagnies de cigares sherbrookoises.

La fumée du tabac se dissipe, laissant derrière elle quelques volutes historiques, quelques vestiges d’une période riche d’activités.

La Sherbrooke Cigar Company, lancée au début du 20e siècle, prend ses quartiers sur la rue Ball. (Plan d’assurances de 1907, revue en 1917)

La Sherbrooke Cigar Company, lancée au début du 20e siècle, prend ses quartiers sur la rue Ball. (Plan d’assurances de 1907, revue en 1917)

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  • Conception graphique La Tribune, Cynthia Beaulne