La recette du succès des Capitales expliquée

MIKAËL LALANCETTE
mlalancette@lesoleil.com

Des billets disponibles de plus en plus rares, des prix dérisoires aux concessions alimentaires et une programmation diversifiée, le modèle d’affaires des Capitales de Québec est un véritable coup de circuit. Leur recette actuelle repose en bonne partie sur le mémoire de maîtrise de leur vice-président, Charles Demers. Le dirigeant de la populaire équipe de baseball de Québec a accepté d'en partager l'essence avec Le Soleil. La voici décrite en quatre ingrédients. 

Un stade Canac rempli

Le meilleur marketing, c’est la victoire, mais le succès populaire des doubles champions en titre de la Ligue Frontière dépasse le simple rendement du club dirigé de main de maître par le gérant, Patrick Scalabrini.

Le nom du président, Michel Laplante, revient aussi dans la discussion lorsque l’on tente de comprendre l’histoire à succès du club de baseball indépendant de la capitale. 

L’expérience de Laplante dans les rangs professionnels vaut son pesant d’or aux yeux de Charles Demers, avec qui il forme une «belle équipe». L’ancien lanceur de l’organisation des Pirates de Pittsburgh, des Padres de San Diego et des Expos de Montréal est le «penseur, le créateur» et Demers est le comptable derrière la réalisation de ces idées.

Même s’il refuse de prendre tout le crédit des salles combles qui se répètent au stade Canac — 15 l’an dernier incluant les séries et 16 cette année, incluant la partie des étoiles, avec encore un mois à faire —, Demers est la tête financière de la formation québécoise. L’ancien joueur des Diamants de Québec a joué un rôle important dans le renouvellement de la stratégie marketing depuis 2019, l'année de sa nomination comme DG des Capitales. 

«La plus belle chose que Michel a faite pour moi, dans les dernières années, c’est de me laisser énormément de place dans la gestion des Capitales, il a été un mentor incroyable, raconte Charles Demers. Il m’a permis de m’épanouir, il m’a fait confiance, même si nos parcours étaient complètement différents. Je suis très heureux que nos deux cerveaux, qui ne réfléchissent pas de la même façon, arrivent toujours avec de bonnes solutions.»

Charles Demers (Caroline Grégoire/Le Soleil)

Charles Demers (Caroline Grégoire/Le Soleil)

L’achalandage aux guichets d’une équipe de balle, Charles Demers en a fait son sujet de mémoire de maîtrise à la fin de son impressionnant parcours d’études : une technique en administration, un diplôme en économie, un baccalauréat en finances, un MBA en management et des études au doctorat en marketing du sport.

Le natif de Laurier-Station y a étudié un total de 35 déterminants pouvant influencer les assistances lors d’une partie de baseball comme la chaleur, les prévisions météo, la météo réelle, les jours de la semaine, les promotions en vigueur, l’équipe adverse, les lanceurs partants, la couverture médiatique et plus encore. 

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

Son modèle mathématique, élaboré grâce aux données de la billetterie des Capitales entre 2009 et 2019, tenait même compte de variables typiquement québécoises comme les vacances de la construction, la programmation du Festival d’été de Québec et l’horaire des séries de la Coupe Stanley! 

Cette analyse de régression linéaire multiple a servi à élaborer le modèle d’affaires 2.0 du club, on y reviendra un peu plus loin, mais si les Capitales de Québec ont pris une place incontournable sur l’échiquier sportif de Québec, c’est d’abord et avant tout grâce aux efforts de Miles Wolff, Michel Laplante, Patrick Scalabrini et plusieurs autres depuis 1999.

Charles Demers, un fan des grands stades du baseball majeur, en est conscient. «Il y a eu des pionniers, comme Bob Bissonnette, qui ont commencé les shows de musique sur la terrasse, rappelle-t-il. Ce n’est pas un changement drastique, tout ça a évolué au fil du temps.»

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

La réalité demeure, le stade Canac est de plus en plus rempli et l’annonce des matchs présentés à guichets fermés sont en train de devenir la norme au 100, rue du Cardinal-Maurice-Roy. Sur les réseaux sociaux, les partisans sont de plus en plus nombreux à chercher des billets, une réalité qui emballe, mais déchire aussi les dirigeants de l'équipe.

Pour s’assurer que le plus de gens possibles puissent s’asseoir dans les vieux bancs de l’édifice érigé en 1938, les Capitales ont plafonné leur nombre de détenteurs de billets de saison cette année. À l'aube de sa saison 25e anniversaire, le club n’avait pas joué un seul match que 50% de tous les billets avaient déjà trouvé preneurs.

(Frédéric Matte/Le Soleil)

(Frédéric Matte/Le Soleil)

La prochaine étape, confie Charles Demers, est de mettre en place un système qui permettra aux abonnés saisonniers de remettre en circulation leurs billets inutilisés, en retour d'une compensation, de façon à ce que les 4297 sièges soient tous occupés lors des rencontres présentées à guichets fermés.

Cette «utilisation maximale» du stade permet aux dirigeants du club de rêver au jour où ils seront en mesure de répéter ce qu’ont fait les Saints de Saint-Paul, au Minnesota, et les Goldeyes de Winnipeg, au Manitoba, en frais de records d’achalandage. Créer un effet de rareté, certes, mais sans arrière-pensée mercantile «machiavélique». 

«Nos détenteurs de billets de saison, on les apprécie, on veut en prendre soin, mais on veut continuer d’attirer le plus grand nombre de nouvelles personnes à nos matchs, résume Demers. Peut-être que la culture était différente à Québec, mais je pense que c’est en train de changer.»

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Yan Doublet/Archives Le Soleil)

(Yan Doublet/Archives Le Soleil)

Une programmation diversifiée

Une fois par semaine, le ciel de Québec s’illumine de couleurs multicolores en marge de l’autoroute Laurentienne dans le bas de la ville de Québec. Quelques minutes après la fin de la rencontre du vendredi soir, les spectateurs du stade Canac ont droit aux traditionnels feux d’artifice, un spectacle que même les joueurs ne ratent pour rien au monde.

(Christian Gingras/Les Capitales)

(Christian Gingras/Les Capitales)

Cette explosion de couleurs s’inscrit dans les soirées thématiques créées par le club de baseball québécois : les rabais assurés du mardi, la musique en folie du mercredi, le gin à 50% le jeudi, les hot-dogs à 1$ le samedi et les billets pour enfants à 5 dollars le dimanche.

(Jocelyn Riendeau/Le Soleil)

(Jocelyn Riendeau/Le Soleil)

C’est ici que le mémoire de maîtrise de Charles Demers entre en jeu. L'étude des déterminants les plus forts sur l’achalandage d’une partie de baseball du vice-président des Capitales conclut que les feux d’artifice sont une stratégie «extrêmement populaire», mais seulement après la fin de l’année scolaire québécoise.

Tout le contraire de la météo annoncée, 24 à 48 heures avant un match, le déterminant le plus négatif pour une joute de baseball dans la capitale.

(Fournie)

(Fournie)

Les conclusions du mémoire guident la haute direction de l’équipe dans la construction du calendrier, les Capitales pouvant fournir leurs préférences à la ligue pour six choix de séries durant la saison, d’où les nombreuses séries sur la route en début d’année.

Le club a aussi éliminé beaucoup de placement marketing pour mousser ses soirées thématiques lors des matchs où l’équipe souhaiterait attirer de plus grosses foules — colorées en rouge dans le modèle mathématique établi par Charles Demers —, ces sommes étant plutôt investies à 100% dans l’expérience client des matchs déjà fort achalandés, teintés en vert dans le même modèle.

D’où la musique, les artistes de cirque, les costumes, les taureaux mécaniques… et les fameux feux d’artifice du vendredi soir.

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

«Au lieu d’être 1500, les 4000 personnes présentes lors de ces parties repartent après avoir vécu une super expérience et elles vont avoir le goût de revenir, explique celui qui collabore à divers panels de recherche et séminaires en marketing du sport. On investit autant, mais on en fait profiter au plus de monde possible.»

Le succès que connaissent les Capitales ne passe pas inaperçu dans la province et ailleurs. Des équipes de hockey junior ont d’ailleurs frappé à leur porte et le duo Laplante-Demers n’a pas peur d’ouvrir son jeu lors des présentations.

«Notre recette fonctionne vraiment très bien pour Québec, elle a été faite sur mesure pour la ville et ses fans, ça na marcherait peut-être pas nécessairement partout, prévient Charles Demers. On se fait poser des questions sur nos stratégies, nos ressources et notre administration. On va aussi chercher le meilleur d’ailleurs, on n’a pas la science infuse!»

De la créativité

Olé, olé, olé, olé… 

Les 4297 spectateurs présents au stade Canac chantent à tue-tête le soir du 10 septembre 2022.

Il n’y a plus que les lumières de leurs téléphones cellulaires d’allumées dans l’édifice. Un incendie dans le secteur a plongé le parc Victoria en pleine obscurité en raison de l’heure tardive, aux alentours de 21 h 40.

Le Grand Prix cycliste de Québec vient de battre son plein dans la capitale, mais ce qui a réuni les 4297 spectateurs ce soir-là, c’est l’important match éliminatoire des Capitales contre les Titans d’Ottawa. Les deux formations sont à égalité 3 à 3 et le site d’Hydro Québec indique que la panne pourrait être réglée vers 23 h 30. 

(Carl Tardif)

(Carl Tardif)

Le président, Michel Laplante, et son adjoint, Charles Demers, se réunissent avec les arbitres, les deux gérants, le président des Titans et le commissaire-adjoint de la Ligue Frontière et tous conviennent de faire le point aux 15 minutes.

La panne électrique empêche toute transaction aux concessions et les gens doivent prendre leur mal en patience dans les gradins. Le risque de perdre des centaines de spectateurs est grand, mais pas autant que la créativité du duo Laplante-Demers. 

Lorsque ce dernier apprend qu’il n’y en a plus que pour une vingtaine de minutes sans courant, Charles Demers lance une idée un peu folle à l’ancien lanceur et gérant de l’équipe.

— Qu’en dirais-tu si on donnait tout et on l’annonce au micro? demande-t-il.

— Bonne idée! embarque Laplante.

Pendant une bonne quinzaine de minutes, c'est bar ouvert dans les comptoirs alimentaires du stade Canac. 

«Ce qui est plaisant, c’est qu’il n’y a pas eu d’exagération, pas de bordel, les gens en ont juste profité, se souvient Charles Demers. Tout le monde était heureux. Quand tu comptes ce que ç’a coûté versus le plaisir que cela a donné aux gens, c’était évident que c’était une bonne décision.»

C’est l’avantage, poursuit celui dont la carrière d’administrateur dans le baseball a pris son envol en 2018, lors de sa nomination comme président du conseil d’administration des Diamants, d’être «maître de sa destinée».

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

Les Capitales ont l’avantage de gérer eux-mêmes leurs concessions alimentaires. C'est ce qui leur permet de maintenir une grille tarifaire abordable, comme des hot-dogs à 2,75 $ à prix réguliers, alors qu'ils dépassent les 11 dollars canadiens dans plusieurs stades du baseball majeur.

Plutôt que de suivre l'inflation, le prix de la bière a même baissé, à 4 $, de quoi faire rougir de honte bien des organisations sportives.  

«Si on décide de mettre les hot-dogs à 50 sous ou le hamburger à deux dollars, c’est notre choix, poursuit-il. Il faut simplement bien le compter, bien le calculer et le faire dans l’intérêt des consommateurs. Il faut trouver un équilibre pour tout le monde.»

Le soir du 10 septembre 2022, le stade Canac s’enflamme en pleine panne électrique. Les spectateurs entonnent le traditionnel Sweet Caroline quelques minutes avant la reprise des activités.

Ce qui devait arriver se produit ensuite : un simple productif après deux retraits de T.J. White scelle l’issue de la rencontre en 11e manche et les Capitales l’emportent 4 à 3, en route vers le 8e championnat de leur histoire.

De l’audace

Le tandem Michel Laplante-Charles Demers a des «idées plein la tête». Au fil des ans passés ensemble, les Capitales de Québec sont devenus leur «laboratoire de recherche» au grand bénéfice des amateurs de baseball de la région.

Charles Demers et Michel Laplante (Archives Le Soleil)

Charles Demers et Michel Laplante (Archives Le Soleil)

Déformation académique oblige, l’esprit analytique est le pain et le beurre de Demers dans les bureaux. «Quand on a une idée un peu folle, on s’assure d’avoir les chiffres pour les soutenir», acquiesce celui qui a grandi à Cap-Saint-Ignace, près de Montmagny.

Le jeune Charles Demers (Fournie)

Le jeune Charles Demers (Fournie)

Mordu de baseball depuis l’âge de 4 ans, le vice-président des Capitales a toujours su faire preuve de flexibilité, que ce soit dans la gestion de son entreprise de tonte de gazons à Lévis, dès l'âge de 12 ans, où lors de son ascension dans l’organisation des Capitales où il a été un véritable touche-à-tout, de la billetterie au marketing en passant par les opérations baseball et la boutique souvenirs.

Demers a l'humilité d’essayer… au risque de se tromper. 

En mai 2023, en se basant sur des sondages internes qui montraient que 82% des Québécois aimaient chanter Juste pour voir le monde du groupe La Chicane en karaoké, le vice-président et la direction de l’équipe décident de remplacer le traditionnel Sweet Caroline par le succès du groupe rock incarné par Boom Desjardins.

«On s’est fait ramasser, ça n’avait pas de bon sens! sourit-il en se rappelant la controverse de l’an dernier. On s’est vite ravisé et quelques matchs plus tard, on ramenait le Sweet Caroline. Notre modèle d’affaires n’est pas coulé dans le ciment, on est à l’écoute. Est-ce que nos méthodes gagnantes actuelles vont marcher encore dans deux ans? On ne prend rien pour acquis!»

Il coule de source de voir cette belle histoire se poursuivre. Sollicité par d'autres organisations de sport professionnel, Charles Demers ne sait pas combien de temps encore se prolongera son association avec les Capitales, qui dure depuis maintenant 11 ans.

«J’ai un sentiment d’appartenance tellement fort pour l’équipe que c’est difficile de m’imaginer ailleurs dans ma vie, insiste-t-il. Ma situation familiale, mon petit garçon, ma conjointe et notre maison ici font que je ne suis peut-être pas rendu là, mais je ne ferme pas la porte à un nouveau défi ailleurs un jour. Pour l’instant, je suis comblé.»
Charles Demers

Autant que les amateurs de baseball de Québec depuis 25 ans.

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(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Jocelyn Riendeau/Le Soleil)

(Jocelyn Riendeau/Le Soleil)

(Erick Labbé/Archives Le Soleil)

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(Jocelyn Riendeau/Le Soleil)

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(Caroline Grégoire/Le Soleil)

(Caroline Grégoire/Le Soleil)

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PASCALE CHAYER

Photographes
CAROLINE GRÉGOIRE
FRÉDÉRIC MATTE
JOCELYN RIENDEAU