

Le quotidien est rempli de tracasseries. De nombreux travailleurs de l’ombre n’attendent qu’un appel pour voler à la rescousse, des as de leur domaine qui viennent souvent sauver la mise. Incursion dans la routine de ces superhéros de la petite vie.


Crâne rasé, longue barbe en bouc, plusieurs anneaux aux oreilles. Martin Auclair a la tête pour jouer un bandit dans un film. Encore plus un voleur, lui qui sait crocheter les serrures et ouvrir les coffres-forts.
«Si je fais une erreur ou un mauvais choix, je perds ma job! J’aurais un dossier criminel. Je ne pourrais plus faire ça», constate le sympathique gaillard.
«C’est pour protéger le monde. Oui, je pourrais entrer où je veux. Mais j’entre où on a besoin d’entrer pour les gens concernés.»
Plus que la limaille de fer qui saupoudre son chandail, résidus du cadenas d’un conteneur percé une heure plus tôt à Saint-Jean-Chrysostome, c’est sa poigne de fer qui impressionne.
Ses mains allient puissance et délicatesse, lui qui se vante d’être parmi les rares serruriers au Québec à goupiller, pinner ou coder (ce sont des synonymes) une serrure avec ses doigts au lieu d’une pince.




Enfant, le petit Martin réparait déjà les bijoux trouvés dans le «petit coffre au trésor» placé sur le bureau de chambre de sa grand-mère. Nœud dans une chaîne, pince de boucle d’oreille brisée, bracelet de montre trop grand.
«Quand elle a vu ça, au bingo, ma grand-mère ramassait les trucs brisés de toutes les madames et me mettait ça dans une boîte. Quand on allait voir ma grand-mère, je lui faisais un gros câlin en arrivant et je lui demandais tout de suite “où est la boîte”!» raconte celui qui a plus tard choisi la vie nomade du serrurier aux dépens de la sédentarité du bijoutier, du manque de perspectives de l’horloger et de la clientèle trouble de l’armurier.
Il mène depuis 19 ans sa propre entreprise, que sa conjointe administre. Pas de bureau. Tout le matériel loge dans sa fourgonnette décorée des grosses lettres de Serrurier Auclair et du numéro de téléphone.
Il a enseigné le métier. Déménagé à Québec justement pour lancer un programme professionnel d’études en serrurerie, fermé depuis.





Si la relève se fait rare et que le futur est aux puces électroniques plus qu’aux clés métalliques, l’homme de 45 ans garde une passion toujours aussi vive pour «la petite mécanique».
«Tout le monde a une clé dans sa poche. Ou devrait en avoir une... s’il l’a peut-être perdue», lance-t-il, sourire en coin.
Le jour même, on l’accompagne à Beauport et à Charlesbourg chez des personnes qui ont perdu leur clé de maison. Il se souvenait être déjà venu pour la même raison chez la première.
«Des fois, je leur dis que je suis à la veille de faire des cartes de membres», blague Martin, se rappelant avoir secouru un étudiant français quatre fois en trois semaines.
Il a fini par lui montrer comment débarrer sa porte à l’aide d’un simple petit tournevis, ce qui n’est bien sûr pas toujours possible.
Une autre fois, dans le riche quartier de Westmount, à Montréal. Clé perdue. Il défait, recode et remonte chacune des 16 serrures des 16 portes de l’immense demeure. Beaucoup de boulot. Quand la dame vient pour le payer, elle pêche son chéquier dans sa sacoche et en tombe... son trousseau de clés.
«Même un itinérant peut avoir une clé, dit-il. S’il se promène en bicycle et qu’il faut qu’il barre son bicycle pour ne pas se le faire voler. Il a une chance de m’appeler parce que son cadenas est déréglé ou il peut perdre sa clé. Personne n’est à l’abri d’appeler un serrurier à un moment donné.»





La discrétion fait partie intrinsèque de son métier. Autant dans la résidence cossue de Sillery que dans un immeuble crasseux de Maizerets.
«À des endroits, il y a des choses que je ne suis pas censé voir. C’est toutes sortes de monde qui m’appelle. Des fois, je vais aller dans une place où ils font pousser du pot, je regarde à terre. Je regarde la porte, la serrure, mais rien d’autre», assure le serrurier.
Pas plus qu’il ne regarde ce que contient le coffre-fort qu’il vient d’ouvrir.
Si le jeune grand-père a cessé il y a trois ans de prendre les appels d’urgence la nuit, cela ne l’empêche pas d’encore recevoir des appels pour le moins… étonnants.
Le matin de la visite du Soleil, un homme chuchote au bout de la ligne. «Je n’entendais pas ce qu’il disait. Je lui ai fait répéter. Puis j’ai compris. “Je peux-tu jouer avec tes pieds?” Ah ah! J’ai répondu: “Ben oui!” Mais je n’y suis pas allé», conclut en riant Martin Auclair, qui pourrait remplir un livre de ses anecdotes.

À venir dans la série «Sur appel»
EXTERMINATEUR
AGENT ANIMALIER
TECHNICIEN APRÈS SINISTRE
DESIGNER GRAPHIQUE
Nathalie Fortier, Le Soleil
DESIGNER GRAPHIQUE
Nathalie Fortier, Le Soleil