Un projet de canal sherbrookois tombé à l'eau

Avez-vous entendu parler d’un canal qui aurait été percé à Sherbrooke, il y a longtemps? Des bateaux l’ont-ils emprunté? Merci!
Anonyme
Mystérieux Anonyme,
Cette question mérite que l’on suive son cours, car on sait déjà quel rôle majeur joue la rivière Magog dans l’histoire de Sherbrooke. Qu’il s’agisse du modeste moulin à farine de Gilbert Hyatt (1802) ou de l’imposant complexe manufacturier de la Paton (1867), c’est sur ses rives que s’exercent ses plus fameux efforts industriels.

Dès les premières décennies des années 1800, la rivière Magog, incluant l’étendue qui sera nommée un jour «lac des Nations», est au centre de l’attention. Nous sommes à une époque où bien des efforts sont mis pour développer la navigation fluviale aux États-Unis et au Canada. Alors que Montréal inaugure son canal de Lachine en 1825, Sherbrooke envisage, elle aussi, de se doter d’un canal!
Un premier projet d’aménagement de canaux se dessine à la fin de l’année 1830. On parle à l’époque de relier les municipalités de Magog et Sherbrooke – rien de moins! – en bâtissant des berges destinées à relever le niveau de l’eau, afin de permettre à des bateaux de naviguer en sécurité… Et d’abaisser considérablement les coûts d’exportation des biens depuis Sherbrooke! Ce premier mégaprojet ne verra jamais le jour.
À l’été 1852, un premier véritable projet de canal entre les rivières Magog et Saint-François démarre. Son promoteur, la British American Land Company, espère pouvoir relier les deux rivières par un cours d’eau alternatif aux chutes et ainsi offrir de nouveaux espaces sur les rives pour l’implantation d’industries, mais également se prémunir des inondations en cas de fortes pluies.
Quel aurait été le tracé de ce canal sherbrookois?
D’après les plans du projet, il se serait engouffré entre les actuelles rues de la Rand et la place de la Gare, puis aurait traversé la rue Belvédère jusqu’au parc Camirand. Ce secteur de la ville était alors peu développé : on avait tout l’espace dont on pouvait rêver pour creuser le lit d’un canal. En fait, on pourrait même parler de deux canaux, puisqu’il se serait divisé en deux branches distinctes avant de descendre aux abords de la rue Aberdeen. Après avoir traversé la rue Wellington Sud, la paire de canaux se serait jetée dans la rivière Saint-François en face de l’île des Sœurs.

Le potentiel canal devait se scinder en deux pour rejoindre la rivière Saint-François, face à l’île des Sœurs. (Plan Fonds Louis-Philippe Demers, Mhist)
Le potentiel canal devait se scinder en deux pour rejoindre la rivière Saint-François, face à l’île des Sœurs. (Plan Fonds Louis-Philippe Demers, Mhist)

Les travaux commencent bel et bien et atteignent la rue Belvédère… Pour ne finalement jamais la franchir. On se rend compte, d’abord, que le percement du canal nuit au travail des barrages sur la rivière Magog et à la production d’hydroélectricité. Ensuite, on extrait une importante quantité de glaise du chantier de percement du canal. Le matériau est si abondant que l’on finit par ouvrir une briqueterie, qui sera située à proximité des actuelles rues des Fusiliers et Camirand.
Le projet de canal tombe à l’eau et les rues de l’ouest garderont les pieds au sec. Aucun bateau ne naviguera jamais sur cette percée.
Jusqu’au début du 20e siècle, cette portion déjà creusée accueille une patinoire pendant quelque temps et permet la récolte de glace pendant les hivers qui suivent. Quant au terrain de l’ancienne briqueterie «Old brick yard grounds», il demeure encore pendant quelques années une placette fréquentée avant de faire place aux «nouveaux» développements.
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Conception graphique, Cynthia Beaulne