Alma Therrien-Biron, derrière une table décorée pour le souper de Noël vers 1945. (Photo Fonds Laurent Biron, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Alma Therrien-Biron, derrière une table décorée pour le souper de Noël vers 1945. (Photo Fonds Laurent Biron, Musée d’histoire de Sherbrooke)

M. Hist,

Je me souviens que mon père me racontait qu’il se faisait offrir une dinde à chaque Noël par sa
job. Est-ce que Sherbrooke a une histoire particulière avec la dinde? D’autres entreprises en offrent?

Murielle

Chère Murielle,

Ah, la fameuse dinde de Noël! Celle qui trônait au centre de la table, entourée de petits anges en porcelaine, de chandelles plantées dans une montagne de gros sel censée représenter la neige, et de plats dont les couleurs, les odeurs et les formes rivalisaient de créativité. Vous sentez cette bonne odeur de nos cuisines du temps des Fêtes?

Il faut dire qu’ici, à Sherbrooke, la dinde n’est pas seulement un mets festif: elle fait partie intégrante de notre folklore, de nos traditions et même… de nos souvenirs de paie!

Sur la rue Courcellette, vers 1980. Les employés partent avec une partie de leur bonheur avant les Fêtes. Notez que les boîtes portent l’inscription «jeune dindon». (Photo Fonds de l’Ingersoll-Rand, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Sur la rue Courcellette, vers 1980. Les employés partent avec une partie de leur bonheur avant les Fêtes. Notez que les boîtes portent l’inscription «jeune dindon». (Photo Fonds de l’Ingersoll-Rand, Musée d’histoire de Sherbrooke)

Car oui, votre père ne rêvait pas: à une époque, presque tout le monde avait droit à sa dinde de Noël, et ce n’était pas seulement une tradition familiale. De nombreuses entreprises sherbrookoises avaient fait du volatile leur cadeau annuel par excellence.

De l’Ingersoll-Rand à la Moore Carpet Company, recevoir sa dinde avant les Fêtes était aussi attendu que le congé lui-même. C’était un peu la version du bonus de fin d’année.

Et il n’y avait pas que les employés! Certains commerçants rivalisaient d’ingéniosité pour attirer les clients. Chez Bégin, sur la rue King, on offrait un dindon gratuit avec l’achat d’un complet ou d’un paletot. On repartait donc du magasin chic avec un habit neuf sous le bras et, dans l’autre main, un oiseau dodu parfaitement prêt pour la rôtissoire. À Sherbrooke, on savait faire affaire tout en nourrissant le monde, littéralement.

La promotion de décembre 1928 au magasin Bégin est particulièrement alléchante: pour un paletot acheté, un dindon offert! (Photo La Tribune, 19 décembre 1928)

La promotion de décembre 1928 au magasin Bégin est particulièrement alléchante: pour un paletot acheté, un dindon offert! (Photo La Tribune, 19 décembre 1928)

Mais la dinde ne se contentait pas d’être offerte: elle se présentait aussi en grande pompe dans les expositions. Dès la fin du 19e siècle, à l’Exposition agricole locale, on en montrait déjà fièrement de toutes les tailles. En 1909, certaines bêtes atteignaient près de 40 livres… de quoi nourrir une bonne grosse famille de l’époque! En février 1922, c’est le dindon de G. H. Vaillancourt, gérant de la Confédération Life Association, qui remporte les honneurs à l’Exposition avicole de Sherbrooke. Son champion pesait une trentaine de livres et devait avoir la démarche d’un monarque.

Les fêtes de fin d'année sont, avant tout, l'occasion pour la famille, les amis et les collègues de se réunir et de partager un bon repas et de passer des moments mémorables. Voilà une chose qui ne change pas avec les années et les décennies! (Photo Fonds Frederick James Sangster, Musée d'histoire de Sherbrooke)

Les fêtes de fin d'année sont, avant tout, l'occasion pour la famille, les amis et les collègues de se réunir et de partager un bon repas et de passer des moments mémorables. Voilà une chose qui ne change pas avec les années et les décennies! (Photo Fonds Frederick James Sangster, Musée d'histoire de Sherbrooke)

La dinde était aussi un luxe. Dans les premières décennies du 20e siècle, les «gras dindons» vendus pour Noël pouvaient coûter jusqu’à 25 ou 30 sous la livre. Une dépense importante pour les familles de l’époque. Les journaux regorgeaient donc de conseils pour s’assurer qu’aucune miette ne soit gaspillée: comment dépecer, cuire, présenter la dinde et même transformer les restes en soupe, mousse ou autres merveilles culinaires.

Magasiner une dinde pour Noël est une tradition, une nécessité. D’aucuns vont jusqu’à dire que c’est un véritable fardeau, à en croire cette publicité pour les magasins Steinberg en 1957. (Photo La Tribune, 18 décembre 1957)

Magasiner une dinde pour Noël est une tradition, une nécessité. D’aucuns vont jusqu’à dire que c’est un véritable fardeau, à en croire cette publicité pour les magasins Steinberg en 1957. (Photo La Tribune, 18 décembre 1957)

Les Sherbrookois pouvaient bien sûr s’approvisionner dans les boucheries locales et le cœur de l’activité se trouvait au grand marché Lansdowne, de la rue des Grandes-Fourches. On y trouvait le meilleur choix… sauf peut-être en 1944, où l’approvisionnement fut compliqué. Comme la plupart des dindes provenaient alors de l’Ouest canadien, il n’était pas rare de voir les étals un peu clairsemés. Le Québec, d’ailleurs, en produisait très peu: encore au début des années 1960, on en consommait bien plus qu’on en élevait et il fallait compter sur le reste du Canada et les États-Unis pour remplir nos assiettes.

Heureusement, la situation s’est renversée. À la fin des années 1980, près d’un dindon sur trois mangé au Québec provenait de Wickham, dans le Centre-du-Québec, où quelque 85 000 dindons se pavanaient en plein air, probablement très loin d’imaginer leur destinée gastronomique.

Alors, Sherbrooke a-t-elle une histoire particulière avec la dinde? Disons plutôt que la dinde a longtemps eu une histoire particulière avec Sherbrooke. L’entreprise American Biltrite, au centre-ville, remettait cette semaine une dinde à ses employées et employés pour le temps des Fêtes; elle est l’une des rares entreprises à poursuivre cette tradition. Bref, on peut dire qu’à travers notre histoire locale, la dinde s’est invitée sur nos tables, dans nos usines, nos concours, nos marchés et même dans nos vestons neufs!

À LIRE AUSSI

  • Le père Noël visite Sherbrooke depuis 98 ans!
  • Avant les chats et les chiens, les vétérinaires soignaient surtout les chevaux
  • Sherbrooke s'est parfois débarrassée de ses déchets n'importe comment
  • Quand un petit journal a bousculé Sherbrooke
  • RETROUVEZ TOUTES LES CHRONIQUES DE M. HIST ICI

    La dinde ne serait rien sans son cortège de hors-d’œuvres… La table de Noël est l’occasion de faire montre de son talent culinaire, de sa créativité… De son audace également. Au cours du 20e siècle, les recettes rivalisent de formes, de couleurs et de volumes. (Photo Fonds Henri Z. Boisvert, Musée d’histoire de Sherbrooke)

    La dinde ne serait rien sans son cortège de hors-d’œuvres… La table de Noël est l’occasion de faire montre de son talent culinaire, de sa créativité… De son audace également. Au cours du 20e siècle, les recettes rivalisent de formes, de couleurs et de volumes. (Photo Fonds Henri Z. Boisvert, Musée d’histoire de Sherbrooke)

    Design graphique
    Cynthia Beaulne, La Tribune

    Design graphique
    Cynthia Beaulne, La Tribune