Vivre en français
à Ottawa:
est-ce possible ?

Mahdia Dahmani est arrivée d’Algérie au Canada en 2022. Parfaitement francophone, l’étudiante en optométrie a été surprise de constater une réalité qui ne lui avait jamais été vraiment expliquée quand elle a décidé de venir s’installer dans la capitale canadienne: l’omniprésence de l’anglais sur le marché du travail. Peut-on vraiment vivre en français uniquement dans la capitale de ce pays bilingue ?, s’est demandé la jeune femme.
C’est la question que pose notre série
Vivre en français à Ottawa.

Mme Dahmani pensait qu’à Ottawa, être francophone suffisait pour accéder à de nombreuses opportunités professionnelles. Elle a vite compris que, bien que la ville soit bilingue, il faut être anglophone avec le français comme langue seconde pour maximiser ses chances.
«On ne peut pas être francophone et avoir l’anglais comme deuxième langue et réellement bénéficier de certains avantages ou postes», avoue-t-elle.
«J’ai un niveau d’anglais intermédiaire, donc je ne suis pas totalement bilingue.
Ça a été vraiment là mon plus grand défi pour pouvoir trouver
du travail.»


Ottawa se présente comme une ville bilingue à l’étranger, mais de nombreux défis linguistiques existent et demeurent pour certaines personnes francophones, en particulier pour les membres des communautés immigrantes d’expression française.
Deux parcours, des réalités partagées
Najat Ghannou et Mahdia Dahmani ont toutes deux traversé le processus d’immigration avant de s’installer à Ottawa.
Mahdia Dahmni, est arrivée dans la capitale nationale il y a un peu plus de deux ans. Najat Ghannou, quant à elle, d’origine marocaine, vit à Ottawa depuis plus de 22 ans. Arrivée au Canada, il y a de cela 35 ans, elle est passée d’abord par Sherbrooke au Québec et Pembrooke en Ontario. Aujourd’hui à la retraite, elle a été enseignante, conseillère pédagogique et agente du ministère de l’éducation de l’Ontario.
Leurs réalités sont bien différentes, mais certaines difficultés rencontrées au fil des ans sont similaires.
Pendant un mois, Le Droit a demandé à ces deux femmes de prêter une attention particulière à leur quotidien en français. Utilisent-elles le français fréquemment en dehors de la famille et de l’entourage? Trouvent-elles facilement des services en français dans les commerces et restaurants d’Ottawa?
Mahdia Dahmani / Le Droit, Simon Séguin-Bertrand
Mahdia Dahmani / Le Droit, Simon Séguin-Bertrand
La langue de Gisèle Lalonde est bien ancrée dans le quotidien de Najat Ghannou, notamment grâce à son engagement dans plusieurs organismes communautaires francophones d’Ottawa, comme Lire et faire lire en français.
Toutefois, lors de ses sorties habituelles au Home Depot ou encore au Canadian Tire, la situation peut être décevante. Malgré ses demandes en français, aucun service n’est disponible dans cette langue.

Une expérience marquante a eu lieu à un bureau de Service Canada, où, après plus d’une heure d’attente, elle s’est retrouvée face à une employée ne parlant pas français, même si l’enseigne indiquait «English/Français». «On nous a dit de refaire la file pour parler avec une autre représentante francophone», raconte Mme Ghannou, désireuse d’être servie en français pour aider un étudiant qui l’accompagnait et ne parlait pas anglais.
Au total, ils ont dû attendre plus d’une heure et demie pour parler à un employé francophone de Service Canada. «Il faut qu’on insiste pour que le service soit là. Et si on ne le demande pas, on ne l’aura pas», ajoute Najat Ghannou.
De son côté, Mme Dahmani explique qu’elle est aussi confrontée très souvent à des services uniquement en anglais dans des entreprises privées à Ottawa, mais elle est aussi régulièrement agréablement surprise de constater qu’elle peut recevoir des services en français dans les établissements publics, comme à l’hôpital ou lors des interactions avec des policiers.
«On trouve toujours quelqu’un qui parle français. Moi, je me sens quand même chanceuse de ce côté-là», assure-t-elle. « Parce que je suis allée à Calgary, où ce n’était pas du tout les mêmes services.»
Najat Ghannou, qui vit à Ottawa depuis plus longtemps, partage cette observation.
«Les personnes qui ne parlent que français, à part dans les organismes francophones, ont peu de chances dans le marché anglophone», soutient-elle en entrevue.
Najat Ghannou / Le Droit, Simon Séguin-Bertrand
Najat Ghannou / Le Droit, Simon Séguin-Bertrand
Se retrouver
en tant qu’immigrant francophone
à Ottawa
En se fiant à leurs expériences personnelles, Najat Ghannou et Mahdia Dahmani conseillent aux nouveaux arrivants francophones de maîtriser la langue anglaise avant d’arriver à Ottawa ou de l’apprendre rapidement une fois sur place, afin de réussir à s’intégrer sur le marché du travail. Mme Ghannou rappelle que des cours de langue anglaise sont offerts par certains organismes spécialisés dans les questions d’immigration.
«C’était un conseil qu’on m’avait donné, mais je n’avais pas vraiment écouté», rigole Mahdia Dahmani.
Elle reconnaît que la frustration peut être importante pour une personne en provenance d’un pays d’expression française, qui se retrouve dans une ville dite bilingue où l’on doit s’adapter à une vie dominée par l’anglais.
«Mais en réalité, si [cette personne] cherche bien, elle trouvera beaucoup de gens qui parlent français. Il ne faut pas hésiter à faire des connexions», conclut Mahdia Dahmani.
Même son de cloche de la part d’Najat Ghannou. Elle propose ainsi de chercher des ressources au sein de la communauté francophone en s’adressant à ses divers organismes.
«Il faut juste que les gens soient bien dirigés et bien conseillés. Les organismes sont désormais mieux équipés qu’avant pour diriger les gens au bon service et s’adapter vite», lance-t-elle.
Mahdia Damani ajoute aussi qu’il faut se tenir informé régulièrement de tout ce qui est offert, car «chaque année, il y a de nouveaux services, il y a des projets qui prennent fin, il y a de nouveaux projets qui se créent», insiste-t-elle.
Assurer la pérennité
du français
Avec le nombre d’immigrants francophones qui augmente grâce à des programmes du ministère de l’Immigration, Réfugiés, Citoyenneté Canada, ciblés en ce sens, Najat Ghannou et Mahdia Dahmani sont convaincues que le français a toujours de l’avenir à Ottawa.
Selon Mme Ghannou, «tant que la communauté francophone, peu importe de quel pays elle vient, prend soin du français, partage cet héritage à ses enfants et l’utilise quotidiennement», la langue française saura survivre. L’Ottavienne d’adoption est optimiste.
« Elle ne va pas disparaître.»