Vivre en français à Ottawa:
une langue sexy, trop ignorée
Est-ce possible de vivre en français à Ottawa, du matin au soir,
à la semaine longue? Dans Vivre en français à Ottawa, Le Droit se penche sur la vie linguistique des personnes francophones et francophiles dans la capitale nationale. Car si Ottawa se présente comme ville bilingue, la réalité
est souvent plus complexe pour ses résidents francophones.
Premier de trois textes et balados.
Chantallya Louis, Initiative de journalisme local
Réseau.Presse - Le Droit

Olivia Crossman a grandi dans la communauté francophone d’Ottawa. Tout son parcours scolaire s’est déroulé en français. Sa mère lui a légué un héritage francophone et Olivia Crossman a adopté très rapidement une fierté identitaire liée au français.
C’est quand elle a quitté Ottawa pour poursuivre des études postsecondaires à Kingston en Ontario qu’elle a pris conscience de l’importance de la langue pour définir qui elle est comme personne.
« Je me suis rendu compte à quel point c’était précieux et unique pour moi », explique celle qui est aujourd’hui spécialiste en ressources humaines.


Dans le désir de poursuivre le legs de sa mère francophone, Olivia Crossman a pris la décision de se réinstaller à Ottawa, où elle travaille à la fonction publique, et de transmettre cette identité à sa fille. Et même si la garderie francophone est à 45 minutes en voiture de la maison, c’est là que la petite est inscrite.
De son côté, Carole Tremblay est d’origine québécoise. Elle s’est installée à Ottawa il y a quatre ans pour des raisons familiales. Fonctionnaire au Secrétariat Conseil du Trésor du Canada, elle a été surprise par la réalité linguistique d’Ottawa.
« Je m’attendais à entendre plus de français dans les commerces, confie-t-elle. J’ai été déçue.»


Cependant, c’est cette déception qui l’a amenée à créer un groupe communautaire francophone sur le réseau social Facebook, et à rassembler ainsi des résidents de la capitale partageant son attachement à la langue.
Aujourd’hui, ce groupe compte 150 membres des quartiers du Glebe et du Vieux Ottawa Est et Sud. Elle organise régulièrement des activités en français, comme des clubs de lecture ou des sorties culturelles
Une lutte quotidienne
Malgré ces initiatives locales et individuelles, vivre en français à Ottawa reste un combat, nous ont expliqué les quatre personnes francophones dont nous avons suivi le quotidien pour ce reportage.
Le Droit leur a demandé de prêter une attention particulière à toutes les interactions qu’elles ont eues à l’extérieur du travail et de la maison, pendant quatre semaines. Elles devaient noter dans quelle langue tout ça se passait. Et elles ont remarqué que le français était souvent relégué au second plan, même dans les services municipaux ou de santé.
Carole Tremblay évoque, par exemple, l’incapacité des pompiers municipaux à répondre en français lors d’une visite de sensibilisation pendant cette période.
Quant à Olivia Crossman, elle a eu du mal à trouver des activités sociales et culturelles en français, malgré un nombre surprenant de voisins francophones avec qui elle peut converser régulièrement en français.
La Franco-Ontarienne est aussi entraîneuse de mise en forme à vélo en musique dans un centre d’entraînement, et lors de la dernière fête du drapeau vert et blanc de sa communauté, la jeune femme a décidé d’offrir sa séance d’entraînement en français.
« J’ai eu la chance de créer un cours avec des chansons entièrement français, raconte-t-elle. Ça me donne la chance d’explorer la musique populaire de la francophonie ».
Elle a été agréablement surprise d’apprendre que plusieurs personnes avaient apprécié ce cours.
Le rôle de chacun
La pérennité de la francophonie d’Ottawa s’appuie sur différents organismes locaux, mais repose aussi sur des groupes informels comme celui de Carole Tremblay.
Mais Mme Tremblay tient à rappeler que la société civile francophone a aussi besoin de l’appui des instances gouvernementales. « Il faut que ça parte des institutions, que ce soit par des lois, des subventions ou une offre culturelle francophone renforcée », insiste-t-elle.
Olivia Crossman / Le Droit, Étienne Ranger
Olivia Crossman / Le Droit, Étienne Ranger
Carole Tremblay / Le Droit, Étienne Ranger
Carole Tremblay / Le Droit, Étienne Ranger

Olivia Crossman abonde dans ce sens. Elle insiste aussi sur l’importance de rendre le français «sexy» et attrayant pour les jeunes générations et rappelle la responsabilité des familles francophones de préserver le français dans une mer anglophone.
« Si je ne parle pas français à ma fille, c’est terminé en une génération », souligne Olivia Crossman.
Un avenir incertain, mais porteur d’espoir
Lorsqu’on parle de l’avenir des communautés francophones à Ottawa et à travers le pays,
Carole Tremblay semble inquiète.
«J’écoute des documentaires, je lis l’actualité par rapport à ça, et ce [que je remarque] c’est que les jeunes ne s’intéressent plus [à cette lutte]. Je ne parle pas juste des jeunes hors Québec, mais de jeunes francophones en général », se désole-t-elle. Carole Tremblay et Olivia Crossman ne sentent pas non plus suffisamment de connexion entre les différentes communautés francophones à travers la province ou encore même à travers le pays.
Malgré ces obstacles présents face à la place de la francophonie dans la capitale nationale, les deux femmes restent optimistes.
« Être bilingue est une richesse, c’est comme un pouvoir magique, affirme Olivia Crossman.
[Ta francophonie], c’est ce qui te rend unique,
c’est ce qui est spécial chez toi ».
Toutes deux souhaitent voir plus d’initiatives pour inciter les membres de la communauté francophone à embrasser cet héritage linguistique et culturel et à le partager avec les francophones de partout. Par exemple, elles aimeraient voir des programmes d’échanges entre des écoles secondaires francophones à travers le pays. Mme Crossman garde un excellent souvenir de son propre séjour dans une école acadienne du Nouveau-Brunswick.
On a beaucoup appris au sujet des Acadiens, et quand ils sont venus ici j’espère qu’ils ont beaucoup appris des Franco-Ontariens », se remémore-t-elle. « C’était vraiment une belle expérience, mais c’était une exception.
- Olivia Crossman -